L’Allemagne avant la Première Guerre mondiale
Avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne est à l’apogée de sa révolution industrielle. Certainement en avance sur son temps, elle est l’une des premières puissances économiques mondiales. Dirigé par l’empereur Guillaume II, l’Empire allemand, aussi appelé « Deuxième Reich », est le fruit de l’unification de 1871. Il se caractérise par un autoritarisme monarchique, dans lequel l’influence militaire est très importante. Parallèlement, le vent de modernité qui souffle sur l’Allemagne est aussi à l’origine de tensions entre la bourgeoisie conservatrice et la classe ouvrière en pleine expansion. De cette période, certains codes ou principes seront plus tard en partie repris ou déformés par les nazis.
Carte simplifiée des différents territoires de l’Empire allemand (1871 – 1918), très largement dominé par le Royaume de Prusse. © Matthieu Mugneret – fortitude-ww2.fr
Naissance et fonctionnement de l’Empire allemand (Deutsches Reich)
L’Empire allemand (aussi appelé « Deuxième Reich ») est une monarchie constitutionnelle à tendance autoritaire.
Né de l’unification de 1871 sous Guillaume 1er et Otto von Bismarck, le Deutsches Reich est un État-nation. C’est-à-dire que celui-ci est constitué de plusieurs États différents, dont les citoyens ne sont essentiellement liés entre eux que par leur langue, leur culture et leur origine ethnique communes, aussi variées soient-elles. Non seulement la population allemande est multiculturelle – nous le verrons plus loin – mais jusqu’en 1914, elle connait en plus une véritable explosion démographique à hauteur de 67%, soit 27 millions d’habitants. De quoi susciter déjà, l’inquiétude des élites.
Fonctionnement de l’Empire allemand
Dirigé par un empereur (le Kaiser) aux pouvoirs très étendus (comme par exemple celui de déclarer la guerre à lui seul), l’Empire allemand est, en Europe, un cas unique de par son organisation et son mode de fonctionnement. Par ailleurs, la nouvelle constitution ne comporte aucune déclaration de principe sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Au niveau institutionnel, le régime est doté d’un parlement élu par le peuple : le Reichstag. Cependant, son pouvoir comme son influence, est plus que limité. Il n’a ni la possibilité de nommer un gouvernement et ses ministres, ni celle de le révoquer. De plus, les ministres qui forment le gouvernement sont des fonctionnaires purs, nommés par l’empereur, tout comme le chef du gouvernement (le chancelier). C’est-à-dire qu’ils ne représentent aucun parti politique et qu’ils ne sont responsables que devant le Kaiser et non devant le peuple ou le parlement. Pour faire simple, l’immense majorité des décisions et des orientations politiques à prendre est réservée au Kaiser.
Les prestiges et l’influence de l’armée
Dans l’empire allemand, l’armée représente presque un État dans l’État. Elle a son propre « gouvernement » et jouit d’un accès direct au Kaiser.
Dans ses rangs, les officiers possèdent de nombreux privilèges. Aux yeux de la population – surtout conservatrice – ils bénéficient d’un statut nettement supérieur. À ce propos et dans la rue, les civils amenés à croiser un officier sont tenus de témoigner leurs considérations les plus respectueuses. De fait, notamment au sein de la classe bourgeoise de la population allemande, la carrière militaire représente un intérêt et un objectif certains.
Si l’armée est également influente dans la société civile, ce n’est tout simplement pas un hasard. En effet et lorsqu’ils quittent l’armée, les officiers ont automatiquement droit à un poste dans la fonction publique. Ainsi et comme c’est le cas dans la police, de nombreux services de l’État sont composés d’anciens militaires. Pour reprendre l’exemple de la police, cette présence a un impact direct sur les comportements comme sur les manières d’agir : un délinquant sera davantage perçu comme un ennemi de la nation, plutôt que comme un citoyen récalcitrant à la loi.
La révolution industrielle et la montée en puissance de la gauche allemande
En 1914, l’Allemagne est très certainement à l’apogée de sa révolution industrielle. Dans de très nombreux secteurs, comme par exemple la chimie, elle figure au premiers rang mondial. Certaines de ces industries, comme Siemens ou BASF, existent encore de nos jours.
Ainsi, l’Empire allemand s’est invité à la table des plus grandes puissances du monde. Avec une agriculture elle aussi très développée, le Reich incarne une économie qui se veut être la plus prospère, la plus puissante et la plus avancée d’Europe. A l’aube de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne est un pays qui, incontestablement, est en avance sur son temps.
De plus, cette révolution industrielle a un effet spectaculairement bénéfique sur les conditions de vie des Allemands. Depuis le début du siècle, elles se sont nettement améliorées. Après la défaite de 1918, cette période restera inscrite dans les mémoires comme une période de prospérité et de paix.
Les angoisses de l’industrialisation
A n’en pas douter, cette supposée période précédemment décrite n’est bel et bien qu’une image – certes rassurante – mais surtout de façade. Car dans ce même temps, l’Allemagne se déchire de par ses tensions internes.
Si la rapidité des changements économiques et sociaux profite à de nombreux citoyens, certaines couches de la société de l’Empire en sont à l’inverse effrayées. Dans cet incroyable élan de modernité, celles-ci voient progressivement disparaître certaines coutumes et valeurs anciennes au profit du matérialisme et d’ambitions aussi diverses que démesurées.
Désormais, la bourgeoisie, titulaire de ses propres valeurs, habitudes et pensées, doit en côtoyer d’autres qui lui sont contraires. Les plus fortes sont notamment celles développées par la classe ouvrière industrielle, qui s’est structurée et organisée au sein du mouvement social-démocrate. Lorsque les nazis arriveront au pouvoir, en 1933, les sociaux-démocrates seront parmi les premières cibles des violentes persécutions imposées pour le nouveau régime.
Le Parti social-démocrate
Pour autant, la gauche allemande n’a pas besoin d’attendre les nazis pour subir ses premières persécutions. Fondé en 1875, le Parti social-démocrate des travailleurs d’Allemagne milite essentiellement pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et pour la mise en place d’une république socialiste. À ce sujet, une telle idée de peut qu’être qualifiée de « révolutionnaire » par le Kaiser Guillaume 1er et par d’autres couches de la société.
En 1878, l’empereur est la cible de deux tentatives d’assassinat. Après ces événements, une nouvelle loi est adoptée : la loi antisocialiste. Comme le précise l’historien Richard J. Evans, le mouvement socialiste allemand est un parti qui se veut être respectueux des lois et qui s’interdit toute forme d’une telle violence. Pour parvenir à l’accomplissement de ses objectifs, il mise sur la voie parlementaire. Quoi qu’il en soit, les auteurs de ces deux attentats ne sont aucunement liés à lui.
Néanmoins et au nom d’un soi-disant « intérêt national », le Parti social-démocrate, dont les membres sont qualifiés « d’ennemis du Reich », est déclaré hors la loi. Ses réunions sont interdites, tout comme ses journaux et magazines, pendant que de nombreux socialistes sont injustement jetés en prison.
La montée en puissance des socialistes
Malgré tout, la loi antisocialiste s’avère être un véritable échec. Pour le pouvoir en place, cette déconvenue est directement liée à la révolution industrielle que vit l’Allemagne. Inévitablement, cette dernière entraine un fort développement de la classe ouvrière, rangée derrière le mouvement social-démocrate et qui, par son nombre grandissant, devient de plus en plus puissante et conséquente. En 1890, la loi est finalement suspendue. Cependant, les sociaux-démocrates restent et resteront encore longtemps les cibles privilégiées des policiers, des juges, comme des procureurs.
Avec plus d’un million de membres, la parti est – à la veille de la Première Guerre mondiale – la formation politique la plus vaste au monde. En 1912, elle remporte les élections législatives avec 35% des suffrages exprimés. Un chiffre qui représente tout de même environ 4,25 millions de voix. Par ailleurs et avec un taux de participation s’élevant à 85%, ce scrutin montre à quel point les Allemands veulent jouer un rôle dans le débat politique de leur pays, même si celui-ci ne peut déboucher sur des actions déterminantes et concrètes.
En attendant et du fait de sa puissance nouvellement acquise, les ambitions socialistes commencent à semer une véritable terreur au sein des classes moyennes et supérieures. Finalement, c’est un véritable fossé qui se creuse de manière certaine et durable entre le Parti social-démocrate et les partis dits « bourgeois ». La division qui en découle perdurera bien au-delà de la Première Guerre mondiale et elle jouera un rôle déterminant dans la conquête du pouvoir par les nazis.
Des tensions sociales fortes avant même le déclenchement de la Première Guerre mondiale
En réalité, ces frictions – créées à travers la révolution industrielle – viennent s’ajouter à d’autres conflits internes, déjà existants en Allemagne et dont certains remontent même au-delà de la fondation de l’Empire.
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L’héritage du passé
De par son vaste territoire hérité des précédentes guerres et de l’unification de 1871, le Reich allemand renferme en lui des populations minoritaires, dont les idées et désirs exprimés sont aussi différents que contradictoires avec la majorité germanophone. Pour la plupart, ils concernent la nature même de ce que doit être la nation allemande, mais aussi de son statut et de sa place en Europe et dans le monde.
Indéniablement, la population allemande est diversifiée. Sa société est multiculturelle. Qu’elles soient danoises, autrichiennes ou bien françaises pour ne citer que celles-ci, de nombreuses origines ethniques se côtoient. De fait, ces cohabitations sont à l’origine de divisions internes tantôt régionales, tantôt culturelles, tantôt religieuses. Ces dernières se font davantage ressentir à l’est. En effet, des millions de Polonais sont concentrés sur l’ancien territoire du Royaume de Pologne, annexé par la Prusse au XVIIIe siècle.
Dans ce contexte, il est a noter que très peu d’Allemands défendent l’idée selon laquelle les minorités devraient être traitées avec le même respect et les mêmes droits que la majorité germanophone.
La germanisation des territoires et des minorités
La germanisation est un thème – disons plutôt un objectif parmi tant d’autres – qui marquera l’air nazi. On y trouve en réalité ses origines dès la fondation de l’Empire allemand, en 1871.
À cette période, Bismarck essayait déjà de germaniser ces territoires peuplés de minorités. Certaines mesures furent adoptées, comme l’interdiction de l’utilisation de la langue d’origine dans les écoles, ou bien de l’imposition de l’allemand dans d’autres circonstances. En même temps, les agriculteurs allemands étaient fortement encouragés à s’installer dans ces régions. Néanmoins et au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il s’avère que cette tentative de germanisation des terres et des âmes est un échec.
Le cas des Polonais
Jusqu’en 1914, les Polonais sont progressivement privés de nombreux droits économiques et fondamentaux. Pour l’immense majorité des Allemands – et c’est même le cas des sociaux-démocrates – les peuples étrangers de l’est sont considérés comme des barbares et des arriérés. Si cette vision s’applique essentiellement à la Russie, les Polonais vivant et travaillant en Allemagne ne bénéficient pas plus de sympathie.
Au final, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale et encore plus après la défaite, ces conflits et oppositions internes ne feront que se cristalliser davantage. Ils favoriseront de manière certaine un racisme et un antisémitisme toujours plus virulent et brûlant. Plus tard, les nazis ne manqueront pas de s’en saisir.
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