Les conséquences de la défaite

La défaite de l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale, marque un tournant majeur dans son Histoire. Ses conséquences, marquées par l’émergence de crises économiques, combinées à des sentiments d’humiliation, d’injustice et de trahison, nourrissent durablement les tensions sociales et la montée des mouvements extrémistes. Bien qu’elles n’en soient pas les seules raisons, les conséquences de cette défaite ouvrent – à terme – la voie à l’arrivée des nazis au pouvoir et à la Seconde Guerre mondiale. 

L’Allemagne dans la Première Guerre mondiale

En Europe, le déclenchement de la Première Guerre mondiale provoque un véritable élan « nationaliste ». Dans une Allemagne profondément divisée, cette guerre est l’occasion de forger l’union entre les différences classes de sa société, mais aussi de rétablir un certain ordre politique face aux démocraties et de mettre à exécution un vaste projet expansionniste. 

Carte de l'Empire allemand (Deuxième Reich) avant la Première Guerre mondiale (1914-1918 - Territoires des royaumes après unification de 1871

Carte simplifiée des différents territoires de l’Empire allemand (1871 – 1918), très largement dominé par le Royaume de Prusse. © Matthieu Mugneret – fortitude-ww2.fr

Les causes du déclenchement de la Première Guerre mondiale

Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdiand d’Autriche – héritier du trône austro-hongrois – est assassiné par un nationaliste serbe, à Sarajevo. Accusant la Serbie d’être derrière l’attentat, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. En raison des alliances militaires déjà établies, ce conflit d’origine locale, devient finalement mondial.

Alliée de l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne déclare à son tour la guerre à la Russie, qui défend la Serbie. Mais comme la France est un allié de la Russie – dans le cadre de la Triple-Entente – elle lui déclare également la guerre afin d’anticiper son entrée dans le conflit.

S’inscrivant dans le cadre du plan Schlieffen, cette stratégie doit permettre à l’Empire Allemand d’envahir la France – en passant par la Belgique – le plus rapidement possible. Pour les forces du Reich, l’objectif est d’éviter un conflit prolongé et coûteux sur deux fronts séparés (est et ouest). L’invasion de la Belgique, pays déclaré neutre, provoque alors l’entrée du Royaume-Uni dans la guerre.

Les objectifs de l’Allemagne

Pour l’Allemagne, la Première Guerre mondiale est l’occasion d’affirmer et d’imposer sa puissance économique comme militaire à l’Europe et au monde. C’est en partie pour cette raison qu’elle souhaite affaiblir la Russie, la France et le Royaume-Uni.

Arrivé tardivement dans la course à la colonisation, l’Empire allemand souhaite rattraper son retard. La prise des ports belges doit ainsi lui permettre de menacer continuellement la flotte britannique, afin de redistribuer les cartes des possessions.

Plus que tout cependant, l’expansion de son territoire en Europe est un objectif majeur. Avant même que ne débute la Première Guerre mondiale, l’Allemagne avait déjà le sentiment d’être encerclée par ses ennemis. Ce conflit est alors considéré comme une « guerre préventive », qui doit à terme lui assurer prospérité et sécurité.

Entre la prise de certaines régions stratégiques françaises et la conquête d’un vaste territoire à l’est, on retrouve là les premières notions d’un besoin « d’espace vital » que plus tard, Hitler ne cessera jamais d’essayer de construire.

Projets d'expansion de l'Allemagne pendant la Première Guerre mondiale.

Carte de l’Europe en 1914 avec les projets expansionnistes de l’Allemagne – Carte reproduite, initialement présentée dans l’ouvrage de Richard J. Evans Le Troisième Reich – L’avènement. © Matthieu Mugneret – fortitude-ww2.fr

D’une victoire certaine à une défaite totale

Lorsqu’elle se lance dans celle qui allait devenir la Grande Guerre (1914-1918), l’Allemagne est non seulement convaincue de sa victoire, mais aussi que celle-ci viendra rapidement. Comme bien d’autres pays européens, elle est optimiste et déterminée. Malgré de spectaculaires succès entre 1914 et 1915, l’armée allemande se retrouve finalement bloquée à l’ouest, dans une terrible guerre de tranchées. A l’est cependant, la situation est bien différente.

Victoire sur le front de l’est et signature du Traité de Brest-Litovsk

Après l’invasion rapide de la Prusse-Orientale par l’armée russe, l’état-major allemand décide de confier la campagne militaire à un ancien général à la retraite. Né en 1847, Paul von Hindenburg est un vétéran de la guerre de 1870. Prenant la situation en main avec son chef d’état-major, Erich Ludendorff, la situation militaire est bien vite rétablie sur le front de l’est.

Après avoir piégé l’armée russe et tout en l’anéantissant progressivement, les deux généraux allemands enchaînent les victoires. A la fin du mois de septembre 1915, le territoire de la Pologne est entièrement conquis, pendant que les troupes russes se disloquent peu à peu. En Allemagne, c’est un authentique culte du héros qui se développe autour de l’imposant Hindenburg.

En Russie, le tsar Nicolas II est de plus en plus contesté par son peuple, lui-même de plus en plus hostile à la guerre. Au final, la révolution éclate et les bolchéviques s’emparent du pouvoir. Désormais à la tête du pays, Lénine s’empresse de négocier un traité de paix avec les Allemands. Au début de l’année 1918, le traité de Brest-Litovsk est signé et la Russie livre une vaste portion de son territoire, si grande que même les pangermanistes ne l’avaient probablement jamais espérée. Pour autant, ce gain de territoire s’avèrera aussi important que bref dans le temps.

Défaite sur le front de l’ouest

Sur le front occidental en revanche, la situation est bien moins glorieuse. Quelques mois après le début de la guerre, près de 8 millions d’hommes se retrouvent bloqués face à face, sur un front d’environ 700 kilomètres de tranchées, qui s’étend de la Mer du Nord à la frontière suisse. De fait, cette lutte acharnée et mortelle use aussi bien les soldats que les ressources. En réalité, l’épuisement se fait déjà ressentir à partir de 1916.

Dès lors que les soldats victorieux du front de l’est sont envoyés en renfort à l’ouest, l’espoir et le sentiment d’une grande et définitive victoire sont largement partagés en Allemagne. Pourtant, la grande offensive menée au printemps 1918 s’avère désastreuse. Les troupes allemandes sont décimées, pendant que les Alliés parviennent à créer une brèche dans leur ligne défensive.

Le moral de troupes allemandes s’effondre. Les soldats sont de plus en plus nombreux à déserter ou à se rendre volontairement à l’ennemi. Lorsque les derniers alliés de l’Allemagne encore engagés dans le conflit décident de se retirer, le coup de grâce semble avoir sonné.

Les conséquences de la défaite de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale

Au cours du mois de septembre 1918, Hindenburg et Ludendorff informent le Kaiser que la défaite est désormais inévitable. Leur armée est en totale déroute. Pourtant en Allemagne, la censure poursuit sa campagne de propagande, laissant planer la perspective d’une victoire prochaine. L’annonce de la défaite ne pouvait être que brutale et inatendue.

La révolution allemande de novembre 1918

L’annonce de la défaite provoque une onde de choc à travers tout l’Empire allemand. D’ailleurs, elle est trop forte pour que l’Empire tel qu’il existe n’y résiste. A quoi bon tous ces morts ? Quels étaient les objectifs de tous ces sacrifices ? La rancoeur, au même titre que la violence, se propage. La recherche d’un présumé coupable ne renforce finalement qu’un conflit politique qui atteint son paroxysme. En Allemagne, c’est la révolution.

En s’inspirant partiellement de la révolution russe d’octobre 1918, des conseils d’ouvriers et de soldats se forment. La plupart du temps, ce sont les partis sociaux-démocrates qui se tiennent à leur tête. Pour éviter les mêmes événements qu’en Russie, le Kaiser Guillaume II abdique et part s’exiler aux Pays-Bas, le 9 novembre 1918. Ce même jour à Berlin, la République est proclamée. En 1919, elle prendra le nom de République de Weimar. A peine un demi-siècle après sa création, le système politique créé par Bismarck s’effondre.

L’armistice du 11 novembre 1918

Comme la Première Guerre mondiale se termine avant même que les troupes alliées ne marchent sur l’Allemagne, le peuple allemand s’attend à des conditions acceptables, tout du moins équitables. En réalité, personne n’est mentalement préparé aux conditions de paix que le gouvernement allemand n’a d’autre choix que d’accepter, ce 11 novembre 1918 :

  • Toutes les forces allemandes doivent se retirer à l’est du Rhin.
  • Le Traité de Brest-Litovsk est annulé.
  • L’Allemagne doit remettre un très grand nombre de ses équipements militaires et l’intégralité de sa flotte.
  • Pour s’assurer du respect de ses conditions, les Alliés maintiennent un blocus économique.

En Allemagne et de façon presque unanime, ces conditions sont accueillies comme une terrible humiliation injustifiée. De plus, un certain nombre d’Allemands ne croient pas réellement en la défaite de leur armée pour la simple raison qu’ils n’ont vu aucun uniforme ennemi dans leurs rues. Aussi, le maintien du blocus économique aggrave une situation de pénuries alimentaires déjà très forte. L’embargo ne sera levé qu’en juillet 1919.

Les conséquences des sanctions imposées par le Traité de Versailles

Vers la fin de la Première Guerre mondiale, les Alliés occidentaux prétendaient que le principal but de leur guerre conjointe était de favoriser la diffusion de la démocratie dans le monde. Avant même que la révolution n’éclate, l’ancien gouvernement allemand plaidait alors pour la démocratisation de son système politique.

En réalité, il ne souhaitait en aucun cas la démocratie allemande, mais il espérait – avec une telle annonce – obtenir des conditions de paix raisonnables. Cette stratégie permettait aussi aux militaires de ne pas endosser la responsabilité de la défaite et des conditions de paix, en envoyant les politiciens du nouveau système « négocier » avec les Alliés.

Après la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, les militaires se dispersent d’eux-mêmes. Finalement, seuls les responsables des partis sociaux-démocrates sont présents et forcés d’accepter les conditions et les clauses imposées par le Traité de Versailles.

L’Allemagne jugée seule responsable de la Première Guerre mondiale

La clause 231 du Traité de Versailles juge l’Allemagne seule responsable de la guerre. Selon Richard J. Evans, cette décision permet aux Alliés de justifier les réparations extrêmement lourdes qui doivent servir à dédommager la Belgique et la France, victimes de l’occupation allemande.

Outre-Rhin, cette annonce provoque une nouvelle fois l’indignation et un sentiment d’humiliation supplémentaire. Pour citer quelques exemples, les Alliés saisissent 5 000 locomotives, 136 000 wagons ou encore plus de deux millions de tonnes de navires marchands.

En réalité, les sanctions financières imposées à l’Allemagne n’ont pas pour vocation de la mettre à genoux. Comme elle est désormais très limitée sur le plan militaire, l’objectif des Alliés est de l’empêcher de financer la reconstruction de son armée, dans le cas où celle-ci déciderait de ne pas respecter les peines.

Les pertes territoriales de l’Allemagne

L’Allemagne perd un dixième de sa population et environ 13% de son territoire, alors que la Rhénanie est occupée par les forces alliées, pendant la majeur partie des années 1920. 

A la fin de la Première Guerre mondiale, l’empire Austro-Hongrois s’est désolidarisé de l’Allemagne et du conflit. Cette désolidarisassion a débouché sur la création de plusieurs Etats indépendants : Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie… De fait, une dizaine de millions de germanophones restent en dehors des frontières allemandes. Selon Timothy Snyder, près de 3 millions d’entre eux habitent la partie nord-ouest de la Tchécoslovaquie. Dans une portion de territoire devenue l’Autriche, près de 6 millions de germanophones se retrouvent isolés le long des Alpes, entre les frontières allemande et italienne.

Comme ils ont le sentiment que leur pays n’est pas viable sur le plan économique comme politique, les Autrichiens demandent à être rattachés à l’Allemagne. Une demande qui trouve écho dans la déclaration du président américain Wilson, selon laquelle les peuples doivent pouvoir être libres de décider de leur propre avenir. Si l’Allemagne en accepte le principe, il n’en sera pourtant rien.

En fait, les Alliés – notamment la France qui, malgré la victoire, reste terrifiée à l’idée d’une nouvelle guerre provoquée par son voisin – ne veulent pas que l’Allemagne sorte de cette guerre avec le moindre gain. L’Allemagne ne doit pas redevenir puissante. Une décision effectivement injuste si l’on s’en réfère au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Pertes territoriales de l'Allemagne après le Traité de Versailles (Carte interactive)

Carte interactive de l’Allemagne et de ses pertes territoriales après la signature et l’application des sanctions du Traité de Versailles en 1922. © Matthieu Mugneret – fortitude-ww2.fr

Les conséquences du « coup de poignard dans le dos »

Devant une commission d’enquête parlementaire qui se tient en 1919, le très célèbre maréchal Hindenburg ment délibérément, affirmant que l’armée allemande a été trahie par des éléments antinationaux, présents à l’intérieur même de la nation, alors qu’elle était justement sur le point de vaincre. Celle-ci aurait été victime d’un « coup de poignard dans le dos ».

Selon lui donc, l’explication la plus plausible de la défaite ne peut provenir de la défaillance des troupes. Naturellement, encore moins de son état-major. L’Allemagne serait victime des communistes, des socialistes et des Juifs qui, dissimulés partout, auraient comploté contre l’Empire. Ainsi la défaite n’est plus à proprement parlé une défaite, mais un crime. Cette théorie sera longuement exploitée par les conservateurs, notamment l’armée, afin de discréditer la République de Weimar, tout en rejetant leur propre responsabilité dans la défaite. C’est aussi l’apparition d’un terme qui sera inlassablement repris par les nazis : « les criminels de novembre », et qui alimentera aussi les thèses d’un « complot judéo-bolchévique ».

Les conséquences des crises économiques

Pour payer ses dettes de guerre, le gouvernement allemand décide de poursuivre un moyen de financement qui s’avère bien désastreux. Pour financer sa guerre, il avait déjà décidé d’imprimer massivement de la monnaie. L’Empire – après sa victoire (qui ne viendra jamais) – devait alors se rembourser en prélevant des dettes de guerre aux nations vaincues. De cette méthode en résulte finalement l’hyperinflation.

L’hyperinflation de 1923

En 1923, 1 dollar américain vaut 4 200 milliards de marks. En bref, la monnaie allemande ne vaut plus rien, des millions de personnes sont ruinées. L’économie du pays est plongée dans un chaos indescriptible, favorisant un mécontentement généralisé, fragilisant déjà la République de Weimar. Il faudra attendre 1924 pour que la situation commence à s’améliorer, notamment grâce à des investissements de l’étranger, américains dans l’immense majorité des cas.

La crise économique mondiale de 1929

Mais le krach boursier de Wall Street, en 1929, renverse la table d’une économie encore bien fragile. En quête de liquidités, les Etats-Unis rappellent leurs prêts précédemment accordés à l’Allemagne, qui se retrouve une nouvelle fois dans l’incapacité de faire tourner son économie. La production industrielle s’écroule. En 1932, près de 30% de la population active se retrouve au chômage. Comme avec l’hyperinflation, l’immense désespoir du peuple allemand alimente la montée des mouvements extrémistes, dont celui de Hitler : le Parti nazi.

 

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Sources et références