Histoire et Mémoire de la Seconde Guerre mondiale

L’affaire Stavisky

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Qu’est-ce que l’affaire Stavisky ?

L’affaire Stavisky est une affaire politico-financière, survenue au début des années 1930. Se transformant en un véritable scandale d’État, elle ébranle la République française par de sanglantes manifestations. Escroc professionnel, Alexandre Stavisky est à l’origine de nombreuses arnaques. Il aurait été protégé par des hauts responsables du pays, grâce au tissu relationnel qu’il s’est acheté et construit.

Affaire Stavisky - Affiche de propagande des Républicains nationaux - "L'argent de Stavisky a payé l'élection du Cartel en 1932, à bas les voleurs !" - PWB Images / Alarmy Banque D'Images.

Affaire Stavisky – Affiche de propagande des Républicains nationaux – “L’argent de Stavisky a payé l’élection du Cartel en 1932, à bas les voleurs !” – PWB Images / Alarmy Banque D’Images.

Qui est Alexandre Stavisky ?

D’origine russe, Alexandre Stavisky est né le 20 novembre 1886, à Sobotka. Naturalisé Français en 1900, il habite à Paris et se déclare – durant un temps – sans emploi. En 1909, il réalise une première escroquerie. Une première d’une longue série qui fera finalement de lui un escroc professionnel.

Les débuts d’une carrière d’escroc, à Paris

A peine âgé de 23 ans, Alexandre Stavisky annonce monter plusieurs spectacles d’été, qui doivent se tenir au théâtre des Folies-Marigny. Se tenant au niveau des Champs-Elysées, cette salle n’est habituellement ouverte que pendant les périodes hivernales.

Quoi qu’il en soit, le jeune escroc commence à publier de nombreuses offres d’emploi tout en cherchant également à recruter des concessionnaires pour – par exemple – la publicité ou les débits de boissons. Cependant, ces offres sont soumises à cautionnement. C’est-à-dire qu’il est demandé aux candidats de fournir une certaine somme d’argent pour “aider la jeune entreprise à se monter”. Probablement joue-t-il déjà de son naturel et fort charisme.

Evidement, aucun spectacle n’est programmé et les plaintes se multiplient. De fait, Stavisky s’est enfui avec les cautions, soit une somme de près de 12 000 francs.

Le jeu du relationnel et des influences

Retrouvé et devant répondre de ses actes, Alexandre Stavisky se déniche un avocat qui – selon Claude Faisandier dans son ouvrage dédié à l’Histoire de France – n’est autre que le frère de Georges Clemenceau. Certes, il s’agit peut-être d’une simple coïncidence, tout du moins d’une simple relation restant purement professionnel entre un avocat et un accusé.

En revanche, cela démontre aussi l’habilité avec laquelle Stavisky va se monter un véritable réseau d’hommes complaisants et pour certains influents. Tout au long de sa vie d’arnaqueur, il parvient non seulement à se créer un véritable empire financier, mais aussi à s’acheter et à s’assurer la protection de personnes haut placées dans les milieux des affaires, de la politique, ainsi que dans la police et la justice.

En attendant, son procès est reporté jusqu’en 1912. Les raisons à ces ajournements restent bien obscures. Faisant le mort durant un temps, l’affaire est finalement presque oubliée… avant un retour aux “affaires” : escroqueries au jeu, abus de confiance…. Son nom commence à refaire surface mais le temps de la Première Guerre mondiale lui permet de se faire une nouvelle fois oublier.

Type capable d’entreprendre quoi que ce soit pourvu qu’il en tire profit […]. Sait utiliser avec une habileté incroyable les relations et influences qu’il a su se ménager dans les milieux les plus divers.

Fiches de police à propos de Stavisky, extrait du livre France 1918-1940-1945 de Claude Faisandier

La “grande” affaire Stavisky

En 1925, Alexandre Stavisky réapparait pour des raisons qui tiennent toujours de l’arnaque financière : émission de chèques sans provision, faux et usage de faux, escroqueries… En 15 ans, l’homme fait l’objet de 24 plaintes. Etonnement, il est relaxé à 19 reprises. Néanmoins, il finit par se faire arrêter et se retrouve derrière les barreaux de la prison de la Santé, dès le 26 juillet 1926. Une détention qui ne dure pas puisqu’il est relâché sous caution à la fin de l’année 1927 pour “raison de santé”. On lui suspecte un cancer. Sans grande surprise, il demeure vite introuvable. Encore. Cette fois cependant, l’escroc fait ses adieux avec sa véritable identité. Arrive alors un certain Serge Alexandre.

Il est resté à cause de moi près de dix-huit mois en prison. Et puis, il est sorti, parce que le docteur Paul et quelques autres l’ont trouvé trop malade pour supporter son incarcération.

La vérité est que son premier avocat, René Renoult […] et son second avocat, André Hesse, député, ont employé tous les moyens pour monnayer leur influence jusqu’auprès des experts.

Maurice Garçon

Avocat parisien, Extrait de son journal 1912-1939

L’affaire du crédit municipal d’Orléans

A Orléans, celui que l’on doit dorénavant appeler Monsieur Alexandre, devient l’ami – complaisant – de Monsieur Desbrosses. Naturellement, le personnage en question ne peut que bénéficier d’un statut intéressant pour attirer l’intérêt de Stavisky. Effectivement, il s’agit du directeur du Crédit municipal d’Orléans, un mont-de-piété (?).

Grâce à cette nouvelle connaissance, Stavisky dépose de faux bijoux en gage des prêts qui lui sont accordés. Rapidement, ces emprunts atteignent la folle somme de 43 millions de francs. Toutefois, cette dernière est intégralement remboursée, grâce à d’autres filières de l’empire financier de l’escroc. Il n’en demeure pas moins que cette acquisition illégale d’argent commence à soulever bien des questionnements au sein de l’Inspection des finances. Inquiété, Monsieur Alexandre décide de partir pour rejoindre le Sud-Ouest de la France.

Qu'est-ce qu'un Mont-de-piété ?

Un mont-de-piété (ou Crédit municipal) est un organisme de prêt sur gage. Sa mission première est de faciliter les prêts d’argent en faveur des plus démunis. Pour cela, les monts-de-piété accordent des prêts qui sont gagés sur des objets (comme par exemple des bijoux) placés en dépôt. Si les emprunts ne sont pas remboursés, les objets sont vendus aux enchères. Cependant et pour fonctionner, les monts-de-piété empruntent eux aussi de l’argent (ils sont autorisés à emprunter à un taux de 6% et à prêter à un taux de 8%). Pour acquérir cet argent, ils émettent alors des bons de caisse porteurs d’intérêt.

L’affaire du crédit municipal de Bayonne

A Bayonne, le député-maire de la ville, Joseph Garat, souhaite lui aussi créer un mont-de-piété. Ce n’est donc pas un hasard si Monsieur Alexandre cherche à entrer en contact avec lui. Chose faite, Stavisky lui conseille de nommer un certain Gustave Tissier à la direction de l’Institution.

Comme une musique déjà bien rodée, le Crédit municipal de Bayonne commence lui aussi à remuer des sommes considérables. Ce sont finalement 239 millions de faux bons qui y sont émis illégalement.

A nouveau les questionnements ne tardent pas à venir, notamment de la part de la presse financière qui s’étonne de voir le Crédit municipal de Bayonne brasser autant de liquidités. Finalement, le manège financier s’effondre après un contrôle fiscal. Débutent alors les premières investigations. Les interrogatoires menés par la police permettent rapidement d’identifier le cerveau de l’affaire. Force est de constater que Monsieur Alexandre n’est autre que Alexandre Stavisky… qui une fois de plus disparait.

Vers les émeutes du 6 février 1934

L’affaire Stavisky arrive à une période au cours de laquelle la Troisième République est déjà mise à rude épreuve. De part ses divers disfonctionnements, les Français ont déjà vu passer 5 gouvernements différents depuis 1932. Le sentiment de “ras-le-bol” est donc déjà très présent. A une autre époque, probablement l’affaire – comme bien d’autres avant elle – aurait été moins porteuse et serait restée au stade du simple fait divers.

La campagne de presse antiparlementaire de l’Action française

Dès le 28 décembre 1933, soit quatre jours après que les premiers éléments de l’affaire soient connus des Français, les journalistes de l’Action française s’emparent du sujet, dans lequel plusieurs parlementaires sont déjà mêlés. Opportuniste, le journal royaliste d’extrême droite perçoit ce que Nicolas Beaupré qualifie de “potentiel destructeur”.

Dans les nombreux articles consacrés à l’affaire, Stavisky y est qualifié de “métèque escroc”. L’occasion est ainsi donnée aux xénophobes de s’en prendre à la politique de naturalisation, jugée trop laxiste par certains. Les politiques eux – qu’ils soient réellement impliqués ou non – sont traités de voleurs. Bientôt, c’est même le régime parlementaire dans son intégralité qui est rendu responsable de cette affaire de détournement de fonds.

Dans son acte de dénonciation, l’Action française est très vite rejointe par d’autres journaux de droite et d’extrême droite. C’est par exemple le cas de Gringoire, lui aussi très virulent à l’encontre de la démocratie. Cependant, rendre la presse d’extrême droite responsable à elle seule de la montée de la grogne est illusoire. Car c’est bien la presse dans son entièreté qui s’acharne sur le sujet. De fait, l’affaire Stavisky fait vendre.

Alexandre Stavisky retrouvé “suicidé” à Chamonix

Les événements prennent subitement une toute autre tournure. Le 8 janvier 1934, Alexandre Stavisky est retrouvé agonisant dans un chalet de Chamonix, où il s’est réfugié. La police avance la thèse du suicide alors qu’elle était sur le point de l’arrêter. Une version qui, de manière générale, ne convainc peu les Français. Suicide réel ou assassinat ? Mystère jamais résolu.

Sans aucune difficulté cependant, les adversaires du gouvernement – qu’ils soient politiques ou non – affirment que cette mort “heureuse” permet d’éviter bien de nouvelles révélations. Alors au pouvoir, les membres du Cartel des gauches et plus particulièrement ceux du Parti radical sont directement accusés par la presse. La colère populaire – alimentée par les ligues d’extrême droite – s’empare des rues. Déjà traités de voleurs, les parlementaires sont désormais traités d’assassins.

Stavisky s’est suicidé d’une balle tirée à trois mètres. Voilà ce que c’est que d’avoir le bras long.

Extrait d'un article du Canard enchaîné, à propos de l'affaire Stavisky

La chute du gouvernement Chautemps

Au lendemain de la macabre découverte, le ministre des Colonies, Albert Dalimier, est le premier à démissionner. En 1932, il aurait favorisé le placement des bons de Bayonne auprès des compagnies d’assurances, alors même qu’il était ministre du Travail. Cependant, l’enquête permet aussi de démontrer la présence d’autres personnalités connues, certes issues de la sphère politique, mais pas seulement.

Le député Gaston Bonnaure, le sénateur René Ranoult sont eux aussi inquiétés. Camille Chautemps, lui-même à la tête du gouvernement français, est en première ligne des accusations. Pourtant, il n’est en réalité coupable que d’être le beau-frère d’un procureur, accusé d’être intervenu par le passé pour repousser le procès de Stavisky.

Le 11 janvier, les manifestations se poursuivent et gagnent en intensité après l’arrestation de deux patrons de presse radicaux, proches de Stavisky. Mais surtout ce jour-là, le Parlement refuse, après un vote en séance, l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. Un acte qui accrédite la thèse d’une tentative volontaire d’enterrement de l’affaire, avancée dans de nombreux journaux.

Dans la seconde quinzaine de janvier, les manifestations deviennent quotidiennes. Dans les rues parisiennes, les ligues sont désormais rejointes par d’autres formations d’extrême droite et de droite, mais aussi par d’anciens combattants, ainsi que plusieurs syndicats.

Ne pouvant plus faire face à la pression venue de la rue, le président du Conseil, Camille Chautemps, présente la démission de son gouvernement au Président de la République, le 27 janvier.

Les appels à manifester

C’est Édouard Daladier qui est appelé à remplacer Chautemps. Un poste qu’il obtient par ailleurs pour la seconde fois en l’espace d’une année. Quoi qu’il en soit, le nouveau chef de gouvernement s’engage à élucider l’affaire Stavisky, qui n’en finit plus de déstabiliser le pays. Pour bon nombre de Français cependant, ce nouveau gouvernement est une reconduction à peine déguisée du précédent. De fait, les tensions ne s’apaisent pas.

Quelques jours plus tard, un nouvel événement vient secouer le pays. A peine arrivé au pouvoir, Daladier apprend que le préfet de police de Paris, Jean Chiappe, avait reçu Stavisky en février 1933 et avait gardé pour lui des éléments de preuve sur les agissements de l’escroc.

Face à ces éléments de négligence avérés, le nouveau chef du gouvernement décide de muter le préfet au Maroc. Evidemment, il s’agit d’un renvoi à peine maquillé. Le principal intéressé refuse. Or, Jean Chiappe est réputé proche des ligues d’extrême droite, ou au moins complaisant. La décision de son renvoi provoque alors une colère encore plus vive au sein de ces dernières. Plus que jamais depuis le début de l’affaire, la violence s’empare des rues de la capitale, jusqu’à cette nuit du 6 février 1934 : 17 morts et plus de 2000 blessés blessés, la République vacille.

Le procès de l’affaire Stavisky

Il faut attendre le 16 février suivant pour que soit finalement mise en place une commission d’enquête parlementaire. Après investigations, le procès de l’affaire Stavisky s’ouvre le 4 novembre 1935. Il ne se termine que le 18 janvier 1936.

Dans un article du Figaro daté du 7 janvier 2019, Véronique Laroche-Signorile résume ainsi le procès : 250 témoins, 50 avocats, 20 inculpés dont Gustave Tissier, les députés Garat et Bonnaure, ainsi que la femme de l’escroc. Celui-ci aboutit à 11 acquittements, dont celui de l’épouse de Stavisky, et à 9 condamnations, dont celle de Gustave Tissier, condamné à 7 ans de travaux forcés.

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