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Histoire et Mémoire de la Seconde Guerre mondiale

L’entrevue de Montoire : la rencontre entre Hitler et Pétain

par | 19 Mar 2024

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Histoire autour de la poignée de main entre Pétain et Hitler

Qu’est-ce que l’entrevue de Montoire ?

L’entrevue de Montoire est la rencontre organisée le 24 octobre 1940 entre le maréchal Pétain et Adolf Hitler, dans la gare de Montoire-sur-le-Loir. Elle a été immortalisée par une photographie sur laquelle les deux chefs d’État s’échangent une poignée de main. Au-delà de cette dernière, que savons-nous de cette entrevue ? Dans quel contexte a-t-elle eu lieu ? Dans quels objectifs et pour quels résultats ? Retour sur cette rencontre inattendue, de son organisation jusqu’à son jugement.

Entrevue de Montoire - Rencontre et poignée de main entre le maréchal Pétain et Adolf Hitler

Le maréchal Pétain et Adolf Hitler échangent une poignée de main, le 24 octobre 1940, dans la gare de Montoire-sur-le-Loir. A l’arrière plan, entre les deux chefs d’État, Paul Schmidt, l’interprète de Hitler, à droite Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich. Bundesarchiv, Bild 183-H25217 / CC-BY-SA 3.0

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Pourquoi l’entrevue de Montoire ?

Pour Adolf Hitler, l’entrevue de Montoire s’inscrit dans le cadre d’une semaine diplomatique, visant à la création d’une coalition militaire contre l’Angleterre. Le 22 octobre 1940, le chancelier allemand quitte Munich à bord de l’Amerika – son train spécial – pour gagner Hendaye, ville française située à la frontière franco-espagnole. Une rencontre est prévue avec le dirigeant espagnol, Francisco Franco.

Passant et s’arrêtant une première fois à Montoire-sur-le-Loir avant de rejoindre le Sud-Ouest de la France, le chancelier allemand y retrouve Pierre Laval, le vice-président du Conseil du régime de Vichy. Après ce premier contact, les deux hommes se mettent d’accord pour l’organisation d’une seconde rencontre franco-allemande avec, cette fois-ci, la présence du maréchal Pétain. Elle est prévue pour le 24 octobre suivant, lorsque le train d’Hitler fera chemin inverse depuis Hendaye.

A la fin de cette même semaine, Hitler doit aussi rencontrer Benito Mussolini, à Florence. Derrière l’enchainement de ces entrevues diplomatiques se cache une réalité plus que fâcheuse pour l’Allemagne nazie ; elle vient de perdre la bataille d’Angleterre.

La création d’une coalition contre l’Angleterre

Dès lors que le bataille d’Angleterre est officiellement perdue, le Führer se lance dans un nouveau projet : détruire la puissance navale britannique en Méditerranée. Mais pour la bonne réalisation de cette nouvelle entreprise, les soutiens de la France, de l’Espagne et de l’Italie s’avèrent nécessaires. Ces trois pays ayant en effet un accès direct à la mer Méditerranée. En 1940, c’est encore le cas de la France avec la zone dite « libre » ou autrement appelée « zone non occupée », alors située au sud de la ligne de démarcation.

Mais pour Hitler, la semaine ne débute pas de la meilleure des façons. La rencontre avec Franco – malgré un échange long de 10 heures – n’aboutit à rien de très encourageant. De fait, le dictateur allemand espérait que l’Espagne rejoigne l’effort de guerre nazi, ou au moins qu’elle ouvre Gibraltar aux troupes allemandes. Seulement en échange, Franco – gourmand et certainement opportuniste – demande à récupérer des territoires français de l’Afrique du Nord. Une demande clairement incompatible pour rallier la France à la cause allemande. « Je préférerais me faire arracher trois ou quatre dents plutôt que de revivre cela », déclarera Hitler à Mussolini à propos de l’entrevue d’Hendaye.

De nouveau dans son train qui doit le reconduire jusqu’à Montoire-sur-le-Loir, Hitler doit donc réfléchir à concilier les deux pays (la France et l’Espagne). Si cela s’avère impossible, l’offre française doit – au mieux – être plus avantageuse que l’offre espagnole. Tel est donc l’objectif d’Hitler dans le cadre de sa rencontre avec Philippe Pétain.

La ligne de démarcation et l'occupation de la France en 1940

Carte de la France occupée en 1940 avec la ligne de démarcation. L’accès à la mer Méditerranée pour combattre la puissance navale britannique qui y est présente doit se faire via l’Espagne, la France ou l’Italie. Crédits image Fortitude Studio – Matthieu Mugneret

Se libérer des clauses de l’armistice

Il existe une différence incontestablement de taille entre la France et l’Espagne, de même que tous les pays d’Europe occupés par l’Allemagne ; elle est la seule a avoir signé un armistice avec le régime nazi. Dès lors, elle est plus que jamais étranglée par les clauses de ce dernier, stipulées le 22 juin précédent, dans la Clairière de Rethondes (Hauts-de-France). A la fin de cet été 1940, la ligne de démarcation paralyse l’économie du pays, en plus de clairement perturber la vie quotidienne des citoyens. La France doit aussi payer des indemnités journalières colossales aux forces occupantes et plus d’un million de ses soldats sont encore retenus prisonniers par les Allemands.

Si Hitler a des objectifs clairement identifiés, c’est donc aussi le cas du maréchal Pétain. Cette rencontre inattendue devient pour lui une occasion inespérée pour tenter de défendre ses intérêts. Reste à savoir si cet armistice servira de levier de négociation, en faveur du régime de Vichy, ou comme instrument de menace et de chantage pour les Allemands.

Comment a été organisée l’entrevue de Montoire ?

Revenons au 22 octobre 1940. Ce jour-là, il est prévu que Pierre Laval rencontre Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich. Peu avant cet événement gardé secret, Laval doit retrouver l’ambassadeur du Troisième Reich, Otto Abetz, à Paris. C’est lui qui doit le conduire sur le lieu du rendez-vous, lui aussi tenu secret. Partant pour une destination aussi longue qu’inconnue, les deux hommes s’arrêtent déjeuner à Tours, avant de poursuivre encore leur route.

Au fur et à mesure que Pierre Laval se rend compte de la présence de soldats allemands toujours plus nombreux « derrière les arbres« , Abetz lui confie le secret : « Je dois vous prévenir, ce n’est pas seulement M. Ribbentrop que vous allez voir, c’est le chancelier Hitler ».

Selon Claude Faisandier, le vice-président du Conseil ne modère par son enthousiasme à l’idée de rencontre le Führer. Probablement ses désirs de collaboration en sont encore plus renforcés. Une fois ce premier échange avec Hitler effectué, Pierre Laval l’aurait tout de même informé que dans l’immédiat, il ne pouvait qu’en « rendre compte au maréchal ». Ce à quoi le Führer répliqua par « Je le verrai », avant de prendre la destination d’Hendaye. Ainsi fut donc organisée l’entrevue de Montoire.

Pourquoi la gare de Montoire-sur-le-Loir ?

Le choix de Montoire-sur-le-Loir est essentiellement dû à des questions de sécurité. La petite ville de 2800 habitants est située sur une ligne ferroviaire dite secondaire. Elle présente aussi l’avantage d’être proche de la ligne principale, reliant Paris à l’Espagne. Bien que le train spécial d’Hitler – l’Amerika – soit une véritable forteresse roulante, ses arrêts doivent être planifiés à proximité de tunnels. Une mesure prise dans l’éventualité où celui-ci serait la cible d’attaques aériennes. A proximité de Montoire-sur-le-Loir se trouve justement le tunnel Saint-Rimay, spécialement équipé – à la hâte – de lourdes portes en fer.

Une rencontre historique

Aussi douloureux que soit le souvenir de cette entrevue entre Pétain et Hitler, cette rencontre n’en demeure pas moins historique pour plusieurs raisons ; le maréchal, héros vénéré de la Grande Guerre, s’apprête à rencontre le chancelier Hitler pour la première fois, alors même que cet événement se produit seulement quatre mois après la fin de la bataille de France et la signature de l’armistice.

De fait, l’organisation de cette entrevue n’est pas prise à la légère et réclame une certaine forme solennelle, bien que le public n’y soit évidemment pas convié. Tous les habitants de la commune ont d’ailleurs ordre de rester chez eux, volets fermés. Parallèlement, le maire de Montoire est même désigné goûteur afin de prévenir toute tentative d’empoisonnement.

Visibles sur plusieurs photographies ou films d’actualités d’époque, des plantes tropicales, prélevées du jardin botanique de Tours, servent à décorer la petite et modeste gare. Dans ce même temps, un tapis rouge est réquisitionné dans l’église de la ville.

La poignée de main entre Pétain et Hitler avant l’entrevue

En arrivant à Montoire, Pétain et Hitler échangent une poignée de main qui fera couler beaucoup d’encre. Du reste, elle devient incontestablement le symbole même de cette entrevue mais surtout celui de la collaboration franco-allemande.

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale et selon Julian Jackson dans son livre Le procès Pétain, le maréchal expliquera qu’il ne s’agissait – selon lui – pas d’une véritable poignée de main puisqu’il ne lui avait serré « seulement les doigts ». Une justification qui ne parviendra pas à convaincre les juges. En une autre occasion et toujours selon le même auteur, il déclarera : « Mais il me tendait la main ; je ne pouvais tout de même pas cracher dedans ! D’autant plus que j’étais venu lui demander le retour de nos prisonniers. »

Gare dans laquelle s'est déroulée l'entrevue de Montoire

La gare de Montoire-sur-le-Loir dans laquelle s’est tenue l’entrevue de Montoire, entre Hitler et Pétain. Désaffectée, elle a depuis été reconvertie en musée. Crédits photo : Gerd Eichmann.

Un gros coup pour la propagande nazie

Ce jeudi 24 octobre 1940, le maréchal Pétain, accompagné de son entourage et de Pierre Laval, arrive de Vichy par la route, au cours de l’après-midi. Depuis la signature de l’armistice, c’est la première fois qu’il revient dans cette partie de la France, désormais appelée « zone occupée ».

En arrivant à Montoire et d’après le film d’actualités produit par la propagande allemande, le maréchal descend de sa voiture, devant une rangée de soldats allemands au garde-à-vous. Dans la foulée, il serre la main de Ribbentrop, puis celle du maréchal Wilhelm Keitel. Accompagné de ce dernier, il traverse ensuite la voie ferrée pour rejoindre l’endroit où l’attend Hitler. C’est à ce moment que les deux hommes se serrent la main, sous l’œil des appareils photographique. En accueillant le « héros de Verdun » à l’intérieur de son train, Hitler lui dit en allemand : « Je suis heureux de serrer la main d’un Français qui n’est pas responsable de cette guerre. » Ce à quoi Pétain répond évasivement : « Splendide, splendide, merci. » En fait, aucun interprète n’est encore présent à cet instant précis.

Au cours des quatre années suivantes, la photographie de cette poignée de main sera reproduite de manière abondante. Elle fera les gros titres des journaux dans le monde entier. Un véritable coup de maître de la part de la propagande nazie. Au sein de l’opinion française, elle provoque un véritable choc. Car si l’armistice entre la France et l’Allemagne a été signé, cela ne signifie cependant pas que les deux pays sont en paix. Techniquement, il s’agit d’une suspension des hostilités. Il est donc plutôt juste de considérer que la France a un statut neutre vis à vis de l’Allemagne. Pour bon nombre de Français, cette poignée de main n’est donc tout simplement pas concevable.

Le déroulé de la réunion

La rencontre entre Pétain et Hitler a lieu dans le wagon personnel de ce dernier. En réalité, les deux hommes ne sont pas seuls puisque Pierre Laval y est également convié. Côté allemand sont également présents le ministre Joachim von Ribbentrop ainsi que l’interprète du Führer, Paul Schmidt. La réunion dure plus ou moins deux heures, sans que l’on sache exactement le contenu des échanges.

Néanmoins et d’après Claude Faisandier dans son ouvrage dédié à l’histoire française de 1918 à 1945, Pétain n’aurait pas apporté de réponse précise quant aux demandes hitlériennes. Cependant, il se serait dit prêt à étudier les modalités d’une collaboration entre la France et l’Allemagne. Aussi, il aurait formulé quelques demandes précises, comme la libération des prisonniers de guerre ou l’amélioration de leurs conditions de détention, la suppression de la ligne de démarcation, ainsi que la libération de son ami, le général Laure. Cette dernière demande sera certainement la seule pour laquelle il obtiendra satisfaction.

Une fois l’entretien terminé, Hitler raccompagne Pétain jusqu’à sa voiture. S’en est terminé pour l’entrevue de Montoire. Julian Jackson ajoute que le chancelier allemand a probablement trouvé le maréchal français plus agréable que Franco. De son côté, Pétain serait lui aussi favorablement impressionné par Hitler.

Quelles décisions ont été prises lors de l’entrevue de Montoire ?

Bien que sa symbolique soit très forte, l’entrevue de Montoire ne débouche sur aucune décision formelle, prise entre la France et l’Allemagne. Pour autant, il apparaît clairement que le maréchal Pétain accepte – il le confirmera à l’occasion d’un discours moins d’une semaine plus tard – de faire entrer la France dans une nouvelle forme de collaboration. Car en effet, le terme « collaboration » n’est déjà plus nouveau à l’oreille des Français qui, en l’absence d’explications claires, peinent cependant bien à le définir.

Certes, ce mot était déjà présent dans l’article 3 de la convention d’armistice, et il avait précédemment été utilisé par le maréchal Pétain, à l’occasion de son discours du 11 octobre. Mais jusqu’à présent, cette collaboration était davantage une question de formes administratives, sans réels impacts politiques.

La réaction des Français à la poignée de main

Depuis la signature de l’armistice, le maréchal Pétain est encore populaire au yeux des Français. Ils sont d’ailleurs nombreux à penser que le désormais chef de l’État français est de mèche avec le général de Gaulle. En coulisses, on accepte volontiers de croire que les deux militaires travaillent secrètement – avec la Grande-Bretagne – à le revanche contre Hitler et son régime nazi. Une théorie nettement mise à mal par cette photographie et qui, d’ailleurs, n’a jamais été démontrée. Quoi qu’il en soit, les Français peuvent désormais et à juste titre en douter. Dans son journal qu’il tient quotidiennement (Journal 1939 – 1945), Maurice Garçon ne s’y trompe pas. Les 26 et 28 octobre 1940, il écrit :

On ne sait plus à quoi s’en tenir. Évidemment, il se mijote quelque chose de très grave. Les journaux nous préparent un coup de surprise. La pilule sera dure à avaler. Paris-Soir dit que « l’opinion doit se méfier des réactions impulsives et inconsidérées ». Cela veut dire, sans doute, que nous sauterons d’indignation quand nous saurons le résultat des négociations engagées par Laval et continuées par Pétain.

De la rencontre du maréchal et du Führer, rien n’a officiellement transpiré. On sait seulement qu’ils se sont vus dans une gare du côté de Tours. Pétain a passé en revue une garde d’honneur allemande et a serré la main d’Hitler. Cette démonstration spectaculaire ne me présage rien de bon. (notes du 26 octobre)

Les Anglais annoncent que notre honte est consommée et que nous avonc accepté une nouvelle capitulation auprès de laquelle celle de l’armistice n’était qu’un enfantillage. Vichy ne donne aucun détail et célèbre seulement notre entrée dans un concert européen nouveau d’où l’Angleterre est exclue. […] (notes du 28 octobre)

Maurice Garçon

Notes des 26 et 28 octobre 1940, Extrait du livre Journal 1939 - 1945

Le discours radiodiffusé du 30 octobre 1940 prononcé par le maréchal Pétain

Si certains citoyens commencent à douter des actions entreprises par le chef du gouvernement de Vichy, le maréchal Pétain ne va faire qu’aggraver la situation. Pour rendre compte de l’entrevue de Montoire aux Français, il décide de prononcer un discours à la radio, le 30 octobre 1940. Utilisant par trois reprises le mot « collaboration », il présente ainsi la nouvelle et radicale orientation de sa politique étrangère.

Parallèlement, et avant même que la France n’entre « dans la voie de la collaboration« , il est important de préciser que Vichy s’était déjà engagé dans une politique de persécution antisémite. Un mois plus tard, et toujours sans aucune demande des autorités allemandes, il promulguera le premier « statut des Juifs ». De fait, les lois antisémites mises en place par l’État français n’ont aucun rapport avec l’entrevue de Montoire. Ces dernières ne sont issues que du souhait du régime lui-même.

Français,

J’ai rencontré jeudi dernier le chancelier du Reich. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes. […] C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’ai subi, de sa part, aucun « Diktat », aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. […]

Celui qui a pris en main les destinées de la France a le devoir de créer l’atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française […] dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. […] Cette collaboration doit être sincère.

Maréchal Philippe Pétain

Chef de l'État français, Discours radiodiffusé du mercredi 30 octobre 1940

La réaction des Français après le discours du 30 octobre

Dans son livre consacré au collaborateur Joseph Darnand, Éric Alary dresse un intéressant tableau de l’opinion française, après l’entrevue de Montoire et le discours du 30 octobre. Si cette rencontre a choqué une partie des Français, il faut noter que tous ne vivent pas la période de la même façon, selon leur situation géographique.

Au sein de la zone dite « libre » et de manière générale, la maréchal Pétain peut encore jouir du soutien des notables, d’une grande partie du clergé et des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Il est également soutenu par les paysans mais, plus globalement, pour les valeurs prônées par la Révolution nationale, autour de la devise « Travail, Famille, Patrie ».

En revanche, en zone occupée, le contexte est très nettement différent. Les Français vivant dans la zone nord doivent s’accommoder à l’oppressante présence des Allemands. De plus, le rationnement et les prélèvements des autorités occupantes font que ces mêmes Français manquent de tout, plus encore qu’en zone non occupée. Il est donc très probable que l’image du maréchal se dégrade davantage dans cette partie du pays. Bien qu’ils soient minoritaires, les collaborationnistes se déchainent littéralement contre le régime de Vichy, mais pour des raisons bien différentes. En effet, ceux-là souhaiteront dans un futur proche une politique encore plus collaborative que celle qui se mettra rapidement en place. Au sein de ce milieu, représenté par certains partis d’extrême droite comme le Rassemblement national populaire (RNP) ou le Parti franciste, les idées pro-nazies ne sont pas rares.

Au bout du compte et sans surprise aucune, la cote de popularité du chef de l’État français chute de manière certaine. S’il gardera d’indéfectibles soutiens jusqu’à la fin de la guerre (et même au-delà), elle ne remontera cependant plus jamais.

La défense vichyste vis à vis de l’entrevue de Montoire

En 1945, la Seconde Guerre mondiale est sur le point de se terminer et dans son immense majorité, la France est libérée du joug nazi. Emmené jusqu’à Sigmaringen par les Allemands, à la fin de l’été 1944, le maréchal Pétain se rend de lui même aux autorités du Gouvernement provisoire de la République française. Son souhait : répondre de ses choix et de sa politique sous l’Occupation. Étrangement, il gardera pourtant le silence pendant la quasi-totalité de son procès, qui s’ouvre à Paris le 23 juillet.

L’heure du jugement est donc désormais venue. Pétain sera traduit devant une Haute Cour du justice spécialement créée, devant laquelle l’ancien « héros de Verdun » est accusé d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison.

Le supposé double jeu de Pétain

L’entrevue de Montoire – d’une symbolique pourtant très forte -, n’est finalement que peu abordée au cours du procès. Il y a bien eu des échanges à son sujet, mais s’ils sont très brefs, c’est surtout parce qu’on ne sait pas encore ce qu’il s’y est exactement passé. De la même manière, le sort des Juifs n’est lui aussi pas ou alors très peu abordé. En 1945, on ne fait pas encore la différence entre les déportés résistants et les déportés juifs. Il faudra aussi un certain temps pour réellement comprendre l’incontestable rôle de Vichy dans l’exécution de la « Solution finale« .

Quoi qu’il en soit et pour résumer, les avocats du maréchal adoptent deux principales lignes défensives. La première accuse directement Pierre Laval d’avoir entrainé Pétain dans la collaboration franco-allemande. La seconde concerne le supposé double jeu du fondateur de Vichy. Selon la défense, le chef de l’État français avait – soi-disant – passé un accord secret avec les Britanniques, pour lequel l’unique objectif n’était rien d’autre que la Libération de la France et la revanche contre Hitler. Malgré l’acharnement de ses avocats et de quelques vichystes, le double jeu de Pétain n’a – même jusqu’à nos jours – jamais été prouvé.

Lors de son réquisitoire, le procureur général, André Mornet, rappelle certains points essentiels de la culpabilité du maréchal. Parmi ces preuves, une lettre adressée à Hitler et datée du 20 octobre 1941, soit près d’un an après l’entrevue de Montoire : « M. le chancelier, l’anniversaire de l’entrevue de Montoire est une date dont je tiens, en dehors du protocole, à marquer le sens et la portée. Il y eut dans votre geste de l’an dernier trop de grandeur pour que je ne sente pas le devoir de souligner en termes personnels, le caractère historique de notre conversation. »

Pétain reconnu coupable

Le 15 août 1945, le maréchal Pétain est effectivement reconnu coupable d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison et condamné à mort, à l’indignité nationale et à la confiscation de ses biens. En raison de son âge avancé (89 ans), il ne sera pas exécuté mais sera interné au fort de Pierre-Levée, sur l’île d’Yeu, en Vendée.

Comme le dit François Mauriac : « Un procès comme celui-là n’est jamais clos… Pour ses admirateurs, pour ses adversaires, Pétain reste une figure tragique, éternellement errante, à mi-chemin de la trahison et du sacrifice ». De fait et durant de longues années après la guerre, le procès Pétain fera l’objet de nombreuses parutions. Dans celles-ci et pour certains de ses admirateurs, Pétain ne serait alors qu’une victime. Cette victimisation du maréchal bascule jusque dans un mauvais goût certain, notamment lorsque l’abbé Desgranges compare – en 1948 – la peine « d’indignité nationale » au port de l’étoile jaune imposé aux Juifs sous l’Occupation.

Quand l’entrevue de Montoire devient le « Verdun de Montoire »

A partir de la seconde partie des années 40, d’anciens collaborateurs de Vichy commencent à publier leurs Mémoires. L’entrevue de Montoire fait à nouveau l’objet de nouvelles théories audacieuses… pour ne pas dire pathétiques.

Louis-Dominique Girard, chef du cabinet civil de Pétain durant les cinq derniers mois du régime de Vichy, publie un ouvrage volumineux : Montoire : Verdun diplomatique. Le secret du Maréchal. Dans celui-ci, l’auteur affirme que l’entrevue de Montoire est une victoire comparable à celle de Verdun. Selon lui, en rassurant Hitler sur le fait qu’il n’avait rien à craindre de la France, le maréchal aurait volontairement donné au chancelier allemand la liberté d’exécuter ses plans à l’Est, en attaquant l’Union Soviétique. La France aurait ainsi joué un rôle décisif dans la victoire finale contre le Troisième Reich, en précipitant l’URSS dans le camp des Alliés.

Au moment d’écrire, sans doute Girard a-t-il volontairement oublié certains faits prouvés lors du procès du maréchal. Rappelons par exemple le discours du 22 juin 1942, corrigé et approuvé par Pétain lui-même, dans lequel Pierre Laval déclare souhaiter « la victoire de l’Allemagne ». Sans doute a-t-il également oublié, qu’après le raid allié sur Dieppe, Vichy a proposé de combattre aux côtés des Allemands pour participer à « sa propre défense ». N’oublions pas non plus la création de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme), dont l’objectif consistait à envoyer des Français combattre sur front de l’Est, encore aux côtés des Allemands qui, par ailleurs, avaient aussi reçu l’autorisation de la part du Gouvernement de Vichy d’entrer en Tunisie, après le débarquement allié en Afrique du Nord.

En attendant, l’ouvrage de Girard connait un succès certain, forçant même le Gouvernement à interdire son exposition dans les vitrines des librairies. Pétain lui, est très enthousiasmé par cette lecture. A Maître Isorni, son avocat, il déclare : « C’est un chef-d’œuvre ! Girard a fait ressurgir toutes mes idées. Le livre est gros, mais aucun mot n’est inutile ». Néanmoins, il affirmera aussi dans la foulée ne plus se rappeler d’avoir eu « à ce moment-là de telles idées. »

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Sources et références

Le Procès Pétain
Joseph Darnand - Biographie
France 1918-1940-1945
Journal 1939-1945 - Maurice Garçon

 

Le Procès Pétain – Tome 1 – Maurice Garçon. Editions De Vecchi 2007

 

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