Histoire et Mémoire de la Seconde Guerre mondiale

Le Convoi des 31000

par | 17 Jan 2022

Soutenez Fortitude

Et intégrez la Brigade de la Mémoire !

Soutenir Fortitude

Qu’est-ce que le convoi des 31000 ?

24 janvier 1943

Le convoi des 31 000, aussi appelé le convoi du 24 janvier 1943, est un convoi de déportation parti de la France vers Auschwitz, composé de 1 446 hommes et de 230 femmes dont certaines sont des Résistantes.

Le convoi des 31000

Ces femmes de la Résistance

Elles s’appellent Madeleine, Jacqueline, Danielle, Marie-Thérèse, Charlotte, Jeanne, Lucienne, Marie-Claude, Rosa… Elles sont citoyennes, mères, épouses, veuves aussi. Jeunes ou moins jeunes, elles sont intellectuelles, libérales, ouvrières ou commerçantes encore. Elles sont engagées ou indignées, qu’importe. Leurs vies sont différentes à bien des égards. Probablement que rien n’avait prévu de les rassembler un jour ou de provoquer la chance d’une simple rencontre, d’un échange bref… sauf l’Histoire.

Aux yeux de Vichy et du Reich, elles sont des ennemies. Ennemies pour n’avoir jamais accepté la honteuse défaite, pour n’avoir jamais cessé de croire en cette victoire pourtant si lointaine. Ennemies pour avoir essayé de changer le sort d’une guerre qui pour bien des Français, est incontestablement et définitivement perdue. Elles s’appellent Lucie, Hélène, Yvette, Gabrielle, Suzanne, Sophie, Andrée ou Noémie. Elles sont de ces femmes françaises, déportées un dimanche matin d’hiver. Elles sont des 31 000.

A lire aussi → La conférence de Wannsee

Femmes et Résistantes de l’intérieur

Majoritairement arrêtées et livrées par la police française à l’occupant nazi, c’est au compte-goutte que la plupart d’entre-elles arrivent et se rencontrent pour la première fois, lors des promenades et dans les cellules de la Gestapo du fort de Romainville. Toutes ont une histoire différente. Cependant et pour 196 de ces 230 déportées, elles se rassemblent sous un seul et même point commun. D’origines ou d’opinions variées, prêtes à abandonner ce qu’elles ont de plus cher, ces Françaises ont fait leur possible pour tenter de désorganiser l’occupant, elles ont lutté contre le système nazi à l’encontre même des consignes imposées par le régime de Vichy. De la distribution de tracts en passant par l’organisation de manifestations en zone occupée, engagées comme agents de liaison et jusqu’au sabotage de voies de chemins de fer ; elles sont des Résistantes de l’intérieur.

Dans ces cellules déjà, une forme de solidarité et d’entraide se développe, principalement pour protester et obtenir de meilleures conditions de rétention mais pas seulement. A Romainville, beaucoup d’hommes y sont enfermés. Considérés comme des otages, nombreux sont fusillés en représailles des attentats commis contre l’occupant. A proximité et pour certaines, ce sont donc leurs maris qu’on assassine. Entre ces femmes, le soutien prend une part de plus en plus importante, se traduisant à certains moments par la poésie et le chant.

Pour autant, elles sont de ces femmes qui, jamais ne baissent la tête et qui espèrent toujours. Même dans ces conditions précaires, même dans l’incertitude la plus totale, elles en sont persuadées : la France, un jour, retrouvera sa liberté. Alors elles attendent. Attendent les preuves de leurs inculpations, attendent l’heure d’un procès pour défendre leurs libertés. Mais les Allemands ne libèrent jamais. Des preuves, ils n’en ont pas besoin.

C’est donc une tout autre tournure que prend leur histoire, à l’aube de ce dimanche matin, 24 janvier 1943. Lorsque ces 230 femmes montent à bord des quatre derniers wagons à bestiaux d’un train, elles sont convaincues de prendre la direction de l’Allemagne pour fournir la main d’œuvre nécessaire à l’effort de guerre nazi. Classées « Nuit et brouillard », leur destination est tenue secrète mais cette prochaine étape selon certaines, sera forcément moins dure que les cellules de la Gestapo.

Direction la Pologne

Parti de Compiègne et aussi chargé de 1 446 hommes, le convoi prend effectivement la direction du Reich. Au cours d’une halte à Halle-sur-Saale, en Allemagne, le train est soudainement séparé. Serait-ce pour l’exemple ? Pour une raison encore ignorée à ce jour, les quatre derniers wagons sont détachés. Les hommes prennent la direction de Oranienburg-Sachsenhausen ; les femmes, Auschwitz. De toute l’histoire des déportations de France, il s’agit du seul convoi de Résistantes envoyé dans ce camp situé au fin fond de la Pologne.

Trois jours de voyage, pour finalement arriver avec un bout de pain et de saucisson dans le ventre, sous les aboiements des chiens et des cris des SS : « Schnell ! Schnell ! » Se rendent-elles compte de ce qu’est cet endroit ? De ce que l’on y fait ? Pourtant et rapidement, l’endroit se décrit de lui-même. Le froid, la glace, cette odeur nauséabonde qui flotte sur l’immense complexe et ce Kommando de femmes, croisé dès leur arrivée, considérablement amaigries et épuisées.

Rapidement examinées et considérées comme « aptes au travail », évitant alors les chambres à gaz, les françaises prennent la direction du camp. Alors se rendent-elles vraiment compte de ce qu’est Auschwitz ? Malgré ce qu’elles voient, malgré ce qu’elles sentent ? Se rendent-elles compte de ce que les nazis font ici au moment même où elles entonnent fièrement la Marseillaise ? Fait probablement unique, les SS ne réagissent pourtant pas. Pour moins que ça par le passé ou dans le futur, déjà avaient-ils certainement ouvert le feu.

Obligées de complétement se déshabiller, leurs objets personnels sont volés, leurs cheveux coupés, leurs pubis tondus, le corps entièrement désinfecté. Tendant le bras avant la remise des pyjamas rayés, elles se font tatouer les matricules 31 625 à 31 854. Numéros qui bien plus tard, leurs donneront ce nom du Convoi des 31 000. Et puis vient l’heure de l’appel et des premières victimes déjà.

Auschwitz-Birkenau

Est-il possible d’imaginer ce qu’est ce géant centre de la mort ? Là où toute humanité a disparu, là où plus aucun espoir n’est permis, là où seule la survie compte plus que le reste, là où cette neige tombe même en été. Terminer une journée, se réveiller, et survivre à la suivante, encore et encore. Ici, il ne s’agit pas simplement d’exploiter ou de tuer purement. Ici, tout est fait pour détruite méthodiquement et consciencieusement, tout ce qui fait un être humain dans ses caractéristiques physiologiques, sociales, morales, intellectuelles et spirituelles.

L'entrée et le portail du camp de concentration Auschwitz 1

Entrée du camp d’Auschwitz I – © Fortitude Studio

Auschwitz est en développement constant. Il est composé de trois principaux camps ; Auschwitz I, d’une capacité de 20 000 détenues, Auschwitz II-Berkenau pour 90 000 autres et enfin Auschwitz III-Monowitz pour 10 000 places supplémentaires. A ces trois premiers, il faut également compter une quarantaine de sous-camps situés dans les fermes agricoles, usines et mines des environs.

Au début, il est un camp principalement réservé aux prisonniers politiques polonais. Par la suite, les Allemands prévoient d’y interner les milliers de prisonniers de guerre soviétique, qui finalement, ne viendront qu’en plus petite quantité que ce que les nazis avaient espéré. A partir de 1942, et suite à la conférence de Wannsee débouchant sur la « Solution finale », Birkenau devient le plus grand centre de mise à mort des Juifs d’Europe. Le complexe devient aussi un réservoir quasiment inépuisable en main d’œuvre où l’on pratique aussi l’anéantissement par le travail ainsi que des recherches pseudo-médicales.

Entre 1942 et 1944, près de 1,1 million de Juifs d’Europe y sont déportés, dont 69 000 provenant de France. A peine sortis des trains, 900 000 d’entre eux, dont 216 000 enfants ou adolescents, sont assassinés dès leur arrivée avant même de procéder à un quelconque enregistrement. Enfin, 200 000 détenus non Juifs y sont aussi envoyés ; 150 000 Polonais, 23 000 Roms et Sintés, 15 000 soviétiques et un peu plus de 20 000 prisonniers de diverses nationalités. Les Françaises du convoi des 31 000 font partie de cette dernière tranche. Si elles ne sont pas une exception dans ce camp, elles ne sont pas loin de l’être pour autant.

Survivre dans le plus grand camp de mise à mort

Le premier jour, Marie Grabb, 63 ans, la plus âgée des déportées meure des suites probables d’un voyage trop éprouvant. Pour les autres, c’est l’heure du premier appel. A Auschwitz, c’est une épreuve. Debout dès le matin pendant 5 heures durant, dans le vent glacial, les pieds dans la neige et la glace. Rapidement les Françaises mettent au point un méthode pour se protéger. Les plus frigorifiées sont placées au centre du groupe pour tenter de les réchauffer. Mais après l’interminable premier appel, vient le second. Une nouvelle épreuve de deux heures, trois, peut-être même plus. Léona Baillard tombe au sol, elle ne se relèvera plus jamais.

Braque en brique où les détenus dormaient à Birkenau

Baraquement dans le camp d’Auschwitz II Birkenau – © Fortitude Studio

Quelques jours plus tard et pour une raison inconnue, s’il y en avait ne serait-ce qu’une, Léa Lambert et Suzanne Costentin sont battues à mort par un garde. Dans ce camp de la mort, il faut se méfier des gardes, certes. De certaines autres détenues aussi. Car la survie est aussi une épreuve individuelle. Avant un énième appel, Yvonne Cavé se fait voler ses chaussures. Elle meurt de ses engelures le soir même. L’hiver polonais est impardonnable. Ce même jour, Antoinette Bibault, Jeanne Hervé et Lucienne Ferre ferment les yeux une dernière fois, loin de chez elles, dans un pays qu’elles ne connaissent pas et dans les conditions les plus épouvantables.

Le 10 février 1943 est un jour qui sort quelque peu de l’ordinaire au camp, bien qu’il ne soit pas non plus rarissime. Ce jour-là, c’est la « course ». Une sorte d’épreuve sportive organisée par les SS où les gagnantes ont le droit de continuer à travailler jusqu’à ce que mort s’en suive et où les perdantes pleureront leur défaite au fond d’une chambre à gaz. Devant l’œil des médecins qui sont chargés de sélectionner les plus faibles, les femmes doivent courir dans le froid et la neige pendant plusieurs heures avec évidemment rien ou presque dans le ventre. Trop faibles pour continuer ou pour satisfaire l’exigence des observateurs, ce sont 14 de ces françaises qui échouent à cette course contre la mort et qui ne retrouveront pas leur baraquement le soir même.

Et puis la routine revient. Les journées sont un peu les mêmes, uniquement rythmées par l’angoisse, le froid, la faim, la peur et l’incertitude du lendemain. Un autre jour, épuisée, Berthe Lapeyrade s’écroule au sol. Refusant de se relever, elle est battue à mort et cette routine meurtrière fait qu’il en sera de même pour Alice Varailhon. Même si les détenues en font une véritable règle de survie, il est vrai aussi que l’entraide et la solidarité ne font pas tout, pouvant parfois même être à double tranchant. Annette Epaud est envoyée à la chambre à gaz pour avoir donné de l’eau à d’autres détenues qui en réclamaient.

Quand le printemps arrive enfin, que le froid recule et permet un souci de moins, s’en est un autre qui vient : le typhus. Rapidement, l’épidémie se propage dans tout le camp. Les hommes, les femmes, tombent les uns après les autres et les 31 000 n’y échappent pas. Raymonde Sergent, Andrée Tamisé, Claudine Guérin, Danielle Casanova dont le sourire permettait encore de garder un maigre espoir et Rosa Floch âgée de 16 ans seulement et bien d’autres encore, meurent d’une fièvre intense ou de multiples lésions cutanées.

Les premiers mois sont les plus meurtriers. Selon Charlotte Delbo, elles ne sont plus que 70 au soir du 10 avril 1943. Soit à peine deux mois et demi après leur arrivée à Auschwitz.

Jusqu’à la libération

Il n’est probablement pas permis de dire que les miracles existent à Auschwitz. Néanmoins, dans ce lieu sur terre où rien ne sourit jamais aux injustes condamnés, les jours allaient pourtant progressivement devenir moins lourds à supporter pour quelques-unes.

Au cours de l’été 1943, elles ne sont plus que 57 survivantes. Pour une raison, là encore inexpliquée, la Gestapo décide de les soulager de leurs énormes devoirs et charges habituelles. Sans dire qu’il est plus simple, le Kommando dans lequel elles sont transférées leur permet de dormir dans de vrais lits, avec de vrais draps. Elles retrouvent petit à petit un semblant de mental, de goût à la vie quand l’accès aux douches leur est permis, quand elles ont désormais la possibilité de recevoir des colis, et même d’envoyer des lettres et de manger un peu mieux.

Pour tenir jusque-là et selon Charlotte Delbo toujours, cette vie de groupe qu’elles se tiennent à respecter, cette entraide, ce soutien quotidien et sans faille est indispensable et primordial et ce, malgré les très nombreuses pertes. Elles sont les survivantes d’un groupe qui désormais et plus que tout, veut rentrer pour raconter. Mais ce jour n’est pas encore arrivé et entre temps, le groupe est séparé, certaines sont transférées à Ravensbrück, un autre camp, pour durement reprendre le travail.

Pour les autres et à leur grande surprise, elles apprennent un jour qu’elles seront libérées. Tellement de mensonges et de pièges vicieux au cours de ces derniers mois qu’elles n’en croient évidement aucun mot. Au contraire même, elles commencent à élaborer un plan désespéré. Un plan quelconque, élaboré à la hâte où elles s’imaginent désarmer un SS… pour simplement faire quelque chose. Par fierté, pour l’honneur certainement. Avant de rejoindre les chambres à gaz où elles sont persuadées d’aller, c’est une fois de plus La Marseillaise qui résonne à Auschwitz.

Mais la marche qu’elles entament les éloigne des cheminées fumantes ; au lieu de ça, on les emmène vers une grande esplanade. La boule au ventre, s’attendant à une rafale de balles à tout moment, ce sont finalement des camions de la Croix-Rouge qui arrivent massivement pour les récupérer.

L’Histoire n’explique pas encore pourquoi ces femmes ont été libérées de ce camp où la mort attend l’extrême majorité de ceux qui y franchissent le portail. Après 27 mois de détention, de privations, de tortures physiques et mentales, elles sont 49 à retrouver cette France, enfin libérée, que jamais elles n’ont cessé d’espérer. Du reste de leur vie, elle se retrouvent à plusieurs reprises pour partager des moments vrais et pourtant si simples à la fois, malgré un retour difficile où tout est à réécrire, tout à reconstruire.

Témoins directs de la barbarie nazie, de l’anéantissement des Juifs, de ces crimes contre l’humanité et de ces méthodes effroyables, par leurs mots ou par les mots de celles qui n’ont pas eu la chance de rentrer, elles témoignent, elles écrivent, elles racontent. A force d’avoir vu la mort, elles donnent la vie, aussi.

Elles s’appellent Marguerite, Julia, Fleurette, Simone, Berthe, Léonie, Anna, Constance, Odette… Elles sont de ces femmes qui pendant les heures les plus sombres, ont contribué à rendre cette grandeur à la France. Elles s’appellent Félicia, Paulette, Delphine, Gisèle, Marie-Louise, Toussainte, Lucie, Aurore… Mortes pour la France, à jamais des 31 000.

Pour aller plus loin…

Aussi inspérante que passionnante et enrichissante, je ne peux que vous conseiller de ne pas passer à côté de ce film réalité par Toute l’histoire. Un magnifique documentaire dédié à l’histoire et aux témoignages du Convoi des 31 000. 

YouTube

En chargeant cette vidéo, vous acceptez la politique de confidentialité de YouTube.
En savoir plus

Charger la vidéo

Sur le même thème…

Histoire de la rafle des notables

Raflés car jugés « influents » par les autorités d’Occupation, certains de ces hommes portent l’insigne de la Légion d’honneur.

La rafle manquée de Nancy - 19 juillet 1942

La rafle manquée de Nancy

Le 19 juillet 1942, la rafle de Nancy est déclenchée. Pourtant, et grâce à la désobéissance de tout un service de police, 350 Juifs sont sauvés d’une arrestation certaine.

La rafle du Vel' d'Hiv

La rafle du Vél’ d’Hiv

Pour la première fois depuis le début de l’Occupation, femmes et enfants sont aussi la cible des 4 500 policiers mobilisés. Au terme de ces deux journées, 12 884 Juifs ont été arrêtés.

Vous aimerez lire…

Pin It on Pinterest