Qu’est-ce que le boycott antisémite du 1er avril 1933 ?
Le boycott antisémite du 1er avril 1933 est une opération organisée par les nazis, afin de punir les Juifs allemands responsables – selon eux – des critiques formulées à l’égard de l’Allemagne depuis l’étranger. Orchestrée par le gouvernement dirigé par Hitler, elle est la première action “légale” dirigée contre la communauté juive, à travers toute l’Allemagne.
A Berlin, des SA (Chemises brunes) se postent devant les commerces juifs – Bundesarchiv, Bild 102-14468 / Georg Pahl
Contexte du boycott nazi
Depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir, il est vrai que les principaux combats menés par les nazis se sont principalement concentrés contre les partis politiques d’opposition. Tout au moins jusqu’à présent. Le contrôle d’un pouvoir quasi-total étant désormais assuré, le régime cherche maintenant à épurer la société allemande. En d’autres termes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’écarter toutes personnes des institutions et organisations du pays, que les nazis considèrent comme leurs ennemis. Toutefois, même si un lien existe, ce n’est pas exactement dans ce contexte que s’inscrit ce boycotte antisémite.
A lire aussi → La “mise au pas” de la société allemande
L’arrivée de Hitler au pouvoir et la montée de l’antisémitisme
Dans la biographie qu’il consacre à Adolf Hitler, Ian Kershaw fait une brève analyse des premières semaines du régime nazi. Mis à part l’offensive lancée contre les partis de gauche, les actions et violences commises contre les Juifs d’Allemagne sont essentiellement l’œuvre de militants fanatiques. De fait, le parti nazi étant un parti ouvertement antisémite, sa prise du pouvoir ne fait qu’accroître l’entreprise de ces actions individuelles.
Hitler ayant à plusieurs reprises affirmé que les Juifs sont – selon lui – des “parasites dont il convient de se débarrasser”, les agressions et les attaques contre les commerces juifs deviennent déjà monnaie courante.
A lire aussi → Comment Hitler est-il arrivé au pouvoir ?
Le boycott américain des produits allemands
Ces violences étant largement rapportées dans la presse étrangère, les premières actions ne tardent pas à venir. Pour les nazis cependant, ces articles ne sont que mensonges propagés par les Juifs, dans l’unique objectif de nuire à la réputation de l’Allemagne.
Aux Etats-Unis, des intellectuels et des financiers juifs tentent de mobiliser l’opinion publique contre les agissements de l’Allemagne. Cette mobilisation se traduit par des manifestations et surtout par l’organisation d’un boycott des produits allemands. A la mi-mars 1933, le mouvement s’intensifie et gagne plusieurs pays européens. Le 26 mars, Hitler apprend que le Congrès juif américain (?) s’apprête à lancer un appel à la communauté internationale, afin d’élargir le boycott à l’échelle mondiale.
Ces boycotts représentent un réel et très important danger pour l’économie allemande. Toujours fragilisée par la crise économique de 1929, l’arrivée au pouvoir des nazis ne peut éclipser les 35% de la population allemande au chômage. Acculé, Hitler est contraint d’agir, d’autant plus que les pressions de la base de certains de ses sympathisants sont fortes.
Qu'est ce que le Congrès juif américain ?
Le Congrès juif américain (AJC) est une association américaine de défense des intérêts juifs. Au cours des années 1930, elle est dirigée par le rabbin Stephen S. Wise. Démocrate convaincu, il lance des avertissements répétés contre les dangers du nazisme, dès l’arrivée au pouvoir de Hitler. Pour mobiliser l’opinion publique contre les violences faites aux Juifs d’Allemagne, l’AJC organise de nombreuses manifestations aux États-Unis.
A lire aussi → Les conséquences de la crise économique de 1929 en Allemagne
Le boycott des entreprises juives
En Allemagne, les nazis sont donc déterminés à ne pas se laisser faire. Pour eux, les Juifs allemands doivent êtres utilisés comme “otages” pour faire cesser les “agitations de l’étranger”, dont ils seraient les complices. Le boycott antisémite devient alors un projet concret.
Punir les Juifs d’Allemagne par un contre-boycott
Le 28 mars 1933, le Parti nazi publie une proclamation dans laquelle il appelle le peuple allemand à respecter le boycott, prévu le 1er avril suivant, et dont aucune limite de temps n’est pour l’heure fixée. Non seulement les commerces juifs sont visés, mais également leurs produits de manière générale, ainsi que les professions libérales (médecins, avocats…). Avec l’aval et les encouragements de Hitler en personne (et selon sa volonté) celui-ci doit s’appliquer jusque dans le moindre petit village du Reich.
Pour autant, au sein même du gouvernement, toutes les voix ne se montrent pas forcément favorables au boycott. D’aucun craignent en effet les potentielles et néfastes retombées économiques, voire un renforcement des actions étrangères. Dans tous les cas, l’économie allemande pourrait en être fortement impactée.
Peut-être Hitler a-t-il entendu ces avertissements ? Quoi qu’il en soit, il décide finalement que le boycott se limiterait au mercredi 1er avril et ce, à des fins de propagande. Cependant, si les “horreurs” racontées depuis l’étranger ne cessaient pas, il reprendrait le mercredi suivant, 5 avril.
Jour du boycott
En réalité, Hitler a toutes les raisons de faire annuler le boycott. Les principaux gouvernements étrangers ne soutiennent pas les actions contre les produits allemands. C’est le cas des gouvernements américain, britannique et même français. De plus, même certains grands lobbies juifs se désolidarisent du mouvement. Mais Hitler est déterminé et surtout, les pressions d’en bas sont trop fortes. Les militants nazis les plus extrémistes sont déchainés et attendent de pied ferme.
Ainsi, ce samedi 1er avril, les SA se postent devant les commerces juifs, munis de pancartes sur lesquelles il est inscrit “N’achetez pas chez les Juifs” ou encore “Les Juifs font notre malheur”. Cette présence doit inciter passants et clients à ne pas y entrer et à ne pas consommer. Par milliers, des étoiles de David sont peintes en jaune et noir sur les portes, les fenêtres ou les vitrines des victimes.
Si un certain nombre de ces Chemises brunes (SA) se montrent menaçantes, d’autres ont plutôt l’air hésitant. Quoi qu’il en soit et comme le précise Jean-Christophe Buisson dans son dernier livre, la population est largement indifférente à leur présence. Un comportement qu’il convient tout de même de ne pas généraliser.
Les conséquences du Boycott
Contrairement à la propagande qu’il diffusera, Goebbels le constate lui-même : le boycott antisémite n’est pas à la hauteur des espérances nazies. Déjà parce que les Allemands ne semblent pas réellement enthousiastes à cette action et que, de toute manière, de nombreuses boutiques juives choisissent de rester fermées ce jour là. Selon Richard J. Evans, dans son livre dédié au Troisième Reich, l’idée du grand boycott des magasins juifs sera rapidement mis sous le tapis. En revanche, pour les victimes elles-mêmes, cette journée restera à jamais synonyme d’un véritable traumatisme et aura des conséquences très fortes sur leur place dans la société allemande.
La réaction de la population allemande
Face à ce boycott encouragé par le gouvernement, les Allemands se comportent de diverses manières. Certains ignorent les SA. D’autres trouvent cette action “délirante”, sans pour autant se tordre l’esprit. D’autres encore se montrent en revanche plus hostiles à la démarche, affirmant qu’ils continueraient à se fournir chez leurs commerçants préférés.
Dans certaines rues commerçantes, Ian Kershaw parle d’un esprit de “fête”. Une atmosphère chargée de pure curiosité dans laquelle les passants se pressent “juste pour voir ce qu’il se passe”. Au milieu de ces rassemblements éclatent parfois des débats improvisés ; “pour” ou “contre”.
Ailleurs toutefois, le boycott sert aussi de prétexte et de couverture aux pillages et à la violence. Actes peu réprimandés par la police.
Un échec mais…
Presque unanimement, la presse étrangère condamne le boycott des magasins juifs. Les conséquences à l’étranger restent et resteront bien maigres. En revanche, pour les Juifs d’Allemagne, cette journée du 1er avril restera marquée comme un changement majeur dans leur quotidien.
Désormais, les discriminations “ordinaires” laissent place à l’expression de violentes persécutions orchestrées par le gouvernement. Parallèlement, cette “dynamique antijuive” prend aussi la forme concrète d’une législation discriminatoire, à travers la loi du 7 avril pour la “restauration de la fonction publique”. Dans cette période de “mise au pas” de la société allemande, les Juifs allemands n’auront bientôt plus leur place. A la fin de l’année 1933, par crainte ou par obligation, près de 35 000 d’entre eux auront émigré.
En rapport avec l’histoire du nazisme
Mise au pas de la société allemande : la Gleichschaltung
Un processus qui consiste à démettre tous les supposés ou potentiels ennemis du mouvement nazis de leur poste d’influence.
Loi d’habilitation : Comment Hitler obtient les pleins pouvoirs ?
Permettant à Hitler d'obtenir les pleins pouvoirs, la loi d'habilitation consolide la dictature nazie qui se met en place.
La journée de Potsdam
Une spectaculaire opération de propagande qui doit rendre le parti nazi respectable aux yeux du peuple allemand.
Le décret pour “la protection du peuple et de l’État”
Il devait être un décret d'urgence. Abolissant les libertés individuelles, il ouvre en réalité les portes à une dictature nazie.