Le contrôle de la vie culturelle et intellectuelle allemande au profit de la propagande nazie
Après la création du ministère de la Propagande, dirigé par Joseph Goebbels, la propagande nazie exerce un contrôle absolument strict de la vie culturelle et intellectuelle du pays. Véhiculée à travers la presse écrite, la radio ou la littérature, caractérisée dans les cinémas ou les musées, l’idéologie nazie s’introduit dans le quotidien des Allemands. Ils sont submergés par une propagande qui se veut à la fois massive et en même temps subtile, l’encourageant à soutenir le régime envers et contre tout.
Joseph Goebbels – Ministre de la propagande du Reich – Bundesarchiv, Bild 119-2406-01 / CC-BY-SA 3.0
Contexte historique
Comme aux Etats-Unis ou en France, l’Allemagne connait aussi – d’une certaine manière – ses années folles. Bien que plus relative outre-Rhin, cette période marque tout de même l’effervescence de nouvelles formes d’expressions artistiques. Celles-ci touchent aussi bien l’univers de l’art plastique, comme celui de la musique ou encore de la littérature. Parallèlement, le cinéma devient un passe-temps très populaire au début des années 1930, tandis que la radio s’impose progressivement comme un moyen de communication auprès des masses.
L’arrivée au pouvoir de Hitler
Cependant, après l’arrivée de Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933, cette période d’expérimentation artistique semble immédiatement menacée. Ce que les nazis qualifient d’art « dégénéré » sera bientôt leur cible. Selon eux, la culture allemande serait infectée par le « Bolchevisme culturel » et victime d’influences étrangères. Ainsi, trop d’Allemands auraient été détournés de leur nature profonde et de leur âme germanique.
De fait, la « révolution nazie », rapidement amorcée au lendemain de l’incendie du Reichstag et du décret « pour la protection du peuple et de l’État », ne consiste pas seulement à éliminer l’opposition politique. En réalité, elle a également pour but de transformer la vie culturelle et intellectuelle du pays, et de la remodeler suivant sa ligne idéologique.
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Les élections législatives du 5 mars 1933
Pourtant, force est de constater qu’une majorité des Allemands ne veulent pas du nazisme. En récoltant 43,9% des voix aux élections législatives du 5 mars, le parti de Hitler n’obtient la majorité absolue qu’avec l’aide des conservateurs de la coalition gouvernementale.
Le 23 mars, la loi d’habilitation accordant les pleins pouvoirs au chancelier Hitler est adoptée. La destruction de l’État de droit et du régime parlementaire est de fait réellement amorçée. Pour cela, il faut cependant détruire les forces de la société qui résistent encore à l’appel des nazis. Une force qui – globalement – représente tout de même plus de 50% de la population allemande.
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La « mise au pas » de la société allemande
Dès lors, la « mise au pas » ou « coordination » de la société allemande peut véritablement débuter. Consistant à homogénéiser et à contrôler la vie du pays à tous ses niveaux, ce vaste processus n’épargne aucun domaine de la nation allemande : politique, économique, fonction publique, associatif, ou culturel.
Face a cet objectif immense, les nazis utilisent ce qui fait assurément leur marque de fabrique : intimidations et violences. A travers toutes l’Allemagne, des milliers de personnes sont éjectées de leur emploi par les Chemises brunes (SA). Des milliers de militants sont jetés en prison, souvent torturés ou assassinés. La lutte est telle qu’à l’été 1933, le Parti nazi deviendra le parti unique, le seul autorisé en Allemagne.
En attendant, et pour s’attaquer au monde de la culture, le nouveau régime décide de se doter d’un outil qui allait rapidement devenir très puissant : le ministère de la propagande.
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La création du ministère de la Propagande
Pendant que les Chemises brunes se chargent de l’anéantissement des adversaires politiques, Hitler et Goebbels prennent acte des précédentes élections. Désormais, ils s’emploient à faire basculer les Allemands sceptiques, indifférents ou hésitants au nazisme, à des soutiens et des participants actifs. C’est dans cet objectif qu’est créé le ministère de l’Édification du peuple et de la Propagande, le 13 mars 1933.
Qui est Joseph Goebbels, le ministre de la propagande nazie ?
Admiré de longue date par Hitler, Joseph Goebbels s’impose comme une figure dominante du régime hitlérien. Membre du Parti nazi depuis les années 1920, il se révèle un propagandiste aussi talentueux qu’efficace. Doté de véritables dons pour la communication, il est en charge de la propagande du parti, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler et à la création du ministère de la Propagande.
Nazi fanatique, antisémite notable, Goebbels se voit donc chargé de diriger ce nouveau ministère, avec l’ambition personnelle de conquérir les cœurs et les esprits de ceux qui n’avaient pas voté national-socialiste, le 5 mars précédent. Rien ni personne ne devait pouvoir l’arrêter dans cet objectif aussi ambitieux que démesuré.
Il ne suffit pas de réconcilier plus ou moins les gens avec notre régime, ou de les inciter à se montrer neutres vis-à-vis de nous : nous voulons les modeler jusqu’à ce qu’ils admettent l’idée, non pas qu’il faut accepter ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne, mais que l’on peut l’accepter.
Les objectifs du ministère de la Propagande
A en croire Hitler, si près de 56% des électeurs allemands n’ont pas accordé leur confiance en faveur de son parti, ce n’est pas par simple rejet du nazisme. Ceux-là auraient plutôt été influencés par le bolchevisme et le marxisme « juif », par la presse et les médias « juifs », et par la culture artistique et les loisirs « juifs » que la République de Weimar encouragerait avec « d’autres forces non allemandes ». L’âme allemande que seuls les nazis seraient capables de comprendre, aurait alors été salie.
Tel qu’il est défini par Hitler, l’objectif du ministère de la Propagande consiste à centraliser tous les aspects de la vie culturelle et intellectuelle. En d’autres termes, à en prendre le total contrôle, afin de « préserver les valeurs éternelles » du peuple ; valeurs que le régime se charge bien sûr de définir lui-même. Désormais, le citoyen allemand est appelé à « revenir à sa propre nature » et à mettre toute son énergie au service du gouvernement. Plus simplement, l’objectif est de faire adhérer la nation entière au national-socialisme en utilisant tous les moyens possibles, dont les technologies les plus modernes.
Le gouvernement va procéder à un assainissement moral approfondi du corps populaire. L’ensemble du système éducatif, le théâtre, le cinéma, la littérature, la presse et la radio seront mis au service de cet objectif et dûment valorisés. Ils doivent tous être mobilisés pour préserver les valeurs éternelles qui constituent l’essence de notre peuple.
Les moyens du ministère de la Propagande
Installé au sein du palais Léopold sur la Wilhelmplatz de Berlin, le nouveau ministère étoffe rapidement ses effectifs. Pour parvenir à mener à bien les missions énoncées ci-dessus, Goebbels recrute 350 jeunes idéologues. En moyenne, ils sont âgés de moins de 30 ans, la plupart ayant adhéré au Parti nazi avant l’arrivée de Hitler au pouvoir. Certains travaillaient déjà avec Goebbels au bureau de la propagande du parti.
Dès lors qu’il est installé, le ministère de la Propagande se dote de départements distincts : radio, presse, cinéma, théâtre et « l’Edification du peuple ». Le 30 juin, un nouveau décret le rend purement responsable de ces derniers, mais aussi de l’image même du régime, auprès de l’opinion publique et de la presse étrangère. Dans un futur très proche, ses moyens financiers et humains deviendront colossaux et bien d’autres secteurs de la culture lui seront encore confiés.
À propos de « l’image du régime » : il ne s’agit pas seulement de le montrer sous son plus beau visage. Il s’agit de donner l’impression véritable – aussi bien aux yeux des Allemands comme à ceux du monde entier – qu’il est soutenu avec ardeur par la totalité de son peuple et que – par ailleurs – celui-ci approuve tout ce qu’il fait. C’est dans ce contexte que vont se développer nombre de cérémonies et rituels. Le jour de Potsdam en est un parfait exemple. Mais on peut également ajouter les rassemblements annuels du parti à Nuremberg, ou encore le « jour du travail national », fêté le 1er mai.
Directement lié à l’image du régime, la propagande nazie fait émerger le « culte de Hitler ». S’il était déjà très présent au sein du parti nazi, ce n’était pas encore le cas au niveau national. Les élections législatives de novembre 1932 ou de mars 1933 le montrent assez bien. Ainsi, de nouveaux jours fériés sont ajoutés au calendrier allemand. Par exemple, l’anniversaire de Hitler, célébré le 20 avril. Visuellement aussi, les rues et les places des villes changent de nom au profit de figures nazies. Hitler en étant la première représentée.
La propagande nazie dans la culture allemande
Pour transformer et remodeler cette vie culturelle et intellectuelle allemande, les nazis utilisent des méthodes qui donnent un exemple de ce que sera le Troisième Reich. Comme les Juifs sont accusés par l’idéologie nationale-socialiste de détruire les « valeurs éternelles » du peuple allemand, ils sont les premiers chassés, au cours d’impitoyables opérations d’épuration.
Le contrôle de la presse écrite et des médias au profit de la Propagande nazie
Au début des années 1930, l’Allemagne possède plus de quotidiens que la Grande-Bretagne, l’Italie et la France réunies. Elle compte également encore plus de magazines et de périodiques indépendants, qui se diffusent à des échelles nationales comme locales. Mettre au pas ce vaste secteur qui rassemble toutes les nuances politiques de l’Allemagne (de l’extrême gauche à l’extrême droite) s’annonce être une tâche bien délicate. Mais les nazis savent aussi que les journaux représentent l’essentiel et le plus important moyen de diffusion de l’information. Ils ont également conscience qu’ils sont un outil capital pour contrôler l’opinion général.
La suppression de la presse communiste et sociale-démocrate
Néanmoins, la suppression de la presse communiste ne pose pas de plus grandes difficultés au nouveau ministère de la Propagande. Interdite au lendemain de l’incendie du Reichstag, elle est en fait déjà quasiment anéantie lorsque Goebbels prend ses fonctions. Rapidement cette interdiction est suivie de la fermeture des rédactions, après la disparition du Parti communiste (KPD). L’histoire de la presse sociale-démocrate suit plus ou moins le même cours, après l’interdiction du parti en juin 1933.
La « mise au pas » du monde de la presse au service de la propagande nazie
Pour convaincre les autres bords médiatiques, le régime s’appuie sur les violences des Chemises brunes, comme sur les intimidations de la police. Dès l’arrivée au pouvoir des nazis, le monde de la presse comprend finalement qu’il doit s’adapter s’il souhaite survivre. Ainsi, il se « met au pas » presque de lui-même.
Le 30 avril 1933, Otto Dietrich, un ami personnel de Goebbels, est élu à la tête de l’Union de presse allemande. Promettant que l’adhésion au syndicat serait dorénavant obligatoire pour tous les journalistes, il ajoute que leur « fiabilité raciale et politique » serait controlée. Deux mois plus tard, le 28 juin, l’Union des éditeurs de presse allemand choisit Max Amann comme nouveau président. L’homme n’est pas inconnu dans le milieu, puisqu’il est aussi le directeur de la maison d’édition du Parti nazi. Rapidement, tous les membres du conseil d’administration jugés indésirables sont exclus et remplacés par des nazis.
De nombreuses rédactions font alors l’objet de véritables purges. Les journalistes juifs sont les premiers exclus, comme ceux qui par le passé, s’étaient montrés trop hostiles envers le nazisme. Entre 1933 et 1935, 1 300 journalistes Juifs ou de gauche se voient dans l’impossibilité d’exercer leur métier. Les autres – malgré tout fortement intimidés aussi – doivent désormais utiliser des sous-entendus subtils, dans les cas où ils osent encore contredire le gouvernement. Charge est faite aux lecteurs d’apprendre et de s’efforcer à décoder entre les lignes, les messages cachés.
Les conférences de presse gouvernementales
Avant la création du ministère de la Propagande, et surtout avant l’arrivée au pouvoir de Hitler, les conférences de presse gouvernementales étaient ouvertes à tous. Avec Goebbels, ce n’est plus le cas.
Sous l’égide du ministre, elles deviennent en quelque sorte des assemblées secrètes et pour lesquelles les journalistes sont triés sur le volet. Au cours de celles-ci, Joseph Goebbels dicte des instructions précises à propos des sujets d’actualité. Dans certains cas, il transmet directement des articles préalablement rédigés. Ceux-là doivent être republiés tels quels, ou doivent servir de bases solides à la rédaction d’un reportage plus complet.
Ces instructions transmises par Goebbels comprennent surtout des interdictions. De la censure pure. Mais aussi et comme expliqué plus haut, elles donnent des ordres à propos de ce qu’il faut dire ou montrer. Les précisions apportées par le ministère de la Propagande sont tellement importantes, qu’elles ne laissent finalement presque aucune marge de manœuvre ou d’initiative aux rédacteurs. Ce conformisme éditorial imposé à tous les journaux entraine massivement leur disparition. Au nombre de 4 700 en 1932, il n’en restera que 977 en 1944.
Vous devez non seulement connaître les événements, mais aussi savoir ce qu’en pense le gouvernement, et comment le faire comprendre le plus efficacement possible au peuple.
La « résistance » éditoriale
À terme, la mainmise de Goebbels sur la presse allemande est un succès. Mais elle n’est cependant pas immédiate. De fait, certains journalistes et rédacteurs ne sont pas prêts à abandonner leurs convictions aussi facilement et font preuve d’habilité pour – malgré tout – critiquer.
Le Journal de Francfort – l’un des plus populaires – fait mine de traiter certains sujets pour dénoncer de manière indirecte le régime hitlérien. Par exemple, les articles dédiés à la dictature italienne font en réalité davantage référence à Hitler qu’à Mussolini, pour quiconque parvient à lire entre les lignes.
D’autres se permettent des attaques ouvertement plus osées, bien qu’elles demeurent très rares. Un jour, un journal local dénommé Schweinitzer Kreisblatt, pulie une Une avec un portrait de Hitler en gros plan. Le plan est si serré qu’une partie de la tête du chancelier cache les lettres « itzer » du nom du journal. Seules les lettres « Schwein » apparaissent sur le papier. En allemand, « schwein » veut dire « cochon ».
La radio allemande au service de la propagande nazie
Si la presse écrite reste un moyen très efficace pour traiter – et contrôler – l’actualité, la radio y joue incontestablement un rôle de premier ordre. En pénétrant directement l’intérieur des foyers allemands, elle permet une communication directe qui touche les masses.
La « mise au pas » du monde de la radio
Pour le ministère de la Propagande, en prendre le contrôle s’avère être un exercice autrement plus simple que pour le monde de la presse écrite. En effet, la radio est un secteur public et qui de fait, est déjà sous l’aile de l’État. Initialement dirigée par deux commissaires du Reich, le décret du 30 juin la place directement sous le contrôle de Goebbels, naturellement conscient de sa puissance. Il la qualifie comme étant l’instrument existant le plus moderne pour influencer les masses.
Durant la première moitié de l’année 1933, les purges au sein des stations de radio débouchent sur le licenciement de 270 personnes. Si ce chiffre peut sembler faible en apparence, il représente pourtant 13% des effectifs totaux du secteur. Aussi, l’épuration est grandement facilitée par le fait que beaucoup d’employés bénéficient de contrats à courte durée. Lorsque ceux-ci arrivent à leur terme, ils ne sont tout simplement pas reconduits.
Dans ce même temps, les directeurs de radio et les journalistes de celle que l’on peut désormais appeler ancienne direction, sont arrêtés. Accusés de corruption – très certainement sans aucun fondement – ils sont internés au nouveau camp de concentration d’Oranienburg.
Dès le début du mois de mai 1933, soit environ quatre mois après l’arrivée des nazis au pouvoir, la plupart des radios sont « mises au pas » et diffusent chaque jour un peu plus de propagande.
Assurer l’écoute de la propagande nazie
Si les nazis parviennent à mettre la main sur l’univers de la radio, encore faut-il qu’elle soit écoutée. La grave crise économique de 1929 a plongé l’Allemagne dans une misère sans nom. De fait, l’achat d’un poste de radio (TSF), n’entre pas forcément dans les priorités absolues des ménages allemands. En soit, c’est une problématique pour la propagande nazie.
Il ne s’agit pas non plus de dire que les Allemands n’écoutent pas la radio. Non. Effectivement, elle est un outil déjà très développé. Mais pas suffisant cependant dans l’esprit du ministère de la propagande.
Problématique identifiée, le régime commence à verser d’importantes subventions aux industriels de la TSF. Rapidement, est commercialisée la « radio du peuple ». Une radio bon marché, dont le modèle le moins cher se vend à 35 reichsmarks seulement. L’équivalent du salaire hebdomadaire d’un travailleur moyen. Pour les Allemands, son prix est très attractif, d’autant plus que les paiements fractionnés sont possibles. Pour le régime en même temps, sa faible portée est un atout, puisqu’elle empêche ainsi les auditeurs d’écouter les stations étrangères. Une activité par ailleurs illégale.
Quoi qu’il en soit, 1,5 million de ces postes sont produits rien qu’au cours de l’année 1933. L’année suivante, 6 millions sont en service à travers toute l’Allemagne. En 1939, – toutes marques de radio confondues – 70% des ménages seront équipés de la TSF. C’est plus que n’importe quel autre pays dans le monde. Ainsi, la voix de Goebbels entre directement dans les salons des Allemands.
D’une propagande massive à une propagande plus subtile
Rien que pour la seule période de l’année 1933, 50 discours de Hitler sont retransmis à la radio. Précisons que les discours de Hitler durent bien souvent deux à trois heures. Parallèlement, les musiques populaires disparaissent de l’antenne au profit de musiques martiales ou patriotiques. Face à un tel excès de propagande, les auditeurs éteignent la radio ou bien – s’ils le peuvent – se règlent sur les stations étrangères.
En réalité, les directeurs de radio n’avaient pas écouté la mise en garde de Goebbels. Selon lui, la radio doit être imaginative. C’est-à-dire qu’elle doit – naturellement – diffuser la propagande nazie, mais sans devenir assommante.
Finalement, les programmes s’améliorènt rapidement. Déjà, Goebbels fixe le nombre de discours politiques à seulement deux par mois. Mais la propagande ne passe pas seulement à travers ces allocutions. En tout cas, c’est qu’il faut à tout prix éviter. Ainsi, les émissions dédiées à la musique populaire signent leur grand retour.
Par exemple, dans son livre dédié à la guerre allemande, Nicholas Stargardt fait souvent référence à une émission inaugurée en 1936 : Le concert à la demande. Le principe est assez simple, les auditeurs appellent le standart de la radio pour demander la diffusion de telle ou telle chanson à succès. Mais c’est finalement à partir de 1939 que l’émission enregistre ses plus fortes audiences. Lorsque la guerre éclate – et c’est encore plus vrai après le lancement de l’offensive militaire contre l’Union soviétique – elle devient un lien fort entre le front intérieur et le front extérieur.
Bien entendu triées sur le volet, les demandes des auditeurs s’accompagnent de « dédicaces » pour soutenir un mari, un frère ou un fils engagé dans la bataille. Parfois, des lettres écrites par des soldats sont lues. Celles-ci décrivent la supposée ambiance du front, l’esprit de camaraderie, les succès militaires rencontrés, et la victoire prochaine. De fait, aucune place n’est et ne sera jamais faite au défaitisme. Le ton donné sera toujours identique, même lorsque l’armée s’effondrera sur le front de l’Est. Quoi qu’il arrive, les Allemands doivent soutenir la guerre.
L’industrie du cinéma au service de l’idéologie nazie
Le succès du cinéma des années 1920 se confirme au début des années 1930. Entre 1932 et 1933, il se vend déjà près de 240 millions d’entrées à travers toute l’Allemagne. Un chiffre amené à doubler d’ici la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme la radio, l’industrie cinématographique se montre facilement domptable. En effet, elle n’est constituée que d’un faible nombre d’entreprises. En revanche, elles sont très grandes et très importantes.
La « mise au pas » du cinéma allemand
A partir du mois de mars 1933, quelques studios allemands s’adaptent eux-mêmes au nouveau régime : les personnels et acteurs juifs sont renvoyés. Le 14 juillet suivant, Goebbels créé la Chambre du cinéma du Reich, directement rattachée au ministère de la Propagande. Grand cinéphile, il s’offre ainsi la possibilité de contrôler l’activité des acteurs, jusqu’à celle des réalisateurs, en passant par tous les corps techniques. Autrement dit de les embaucher comme de les licencier.
Au bout du compte, tous les Juifs sont chassés de l’art du grand écran, désormais dominé par la censure et la surveillance. Parallèlement, les acteurs et réalisateurs qui – par leurs convictions ou orientations – n’entrent pas dans les lignes de l’idéologie nazie, sont laissés sur la touche. Pour ces raisons, quelque-uns tentent leur chance ailleurs, notamment à Hollywood.
La propagande nazie à travers les films populaires
Pour les producteurs de cinéma, la principale difficulté réside dans le fait que leurs films doivent impérativement répondre au goût populaire, tout en se confortant à la propagande nazie. Finalement, l’approche est assez semblable à celle imposée à la radio : de la propagande oui, mais dissimulée.
De fait, le scénario type d’une Chemise brune sauvant l’Allemagne à elle seule du danger communiste n’a clairement pas sa place dans les programmes de Goebbels. Car oui, le ministre de la Propagande obtient bien le droit d’autoriser ou d’interdir n’importe quel film à l’affiche.
Ainsi, les productions de comédies humoristiques ou dramatiques y sont encouragées. Car elles répondent à la demande du public. En revanche, le héros du film est assimilé au chef glorifié, de sorte à ce qu’il soit identifiable au « culte de Hitler ». De la même manière, les vertues paysannes sont mises en avant et les mauvais rôles servent bien souvent à dénigrer les ennemis du nazisme : les méchants sont de gauche ou bien Juifs, et plus tard soviétiques.
La propagande politique dans les actualités cinématographiques
Dans les salles de cinéma, la propagande politique est assurée par les actualités cinématographiques. En l’absence de télévisions à cette époque, ils sont ni plus ni moins des journaux télévisés, diffusés avant la projection d’un film (pratique obligatoire à partir d’octobre 1938) ou bien consacrés à une séance à part entière.
Dans ces actualités, les sujets traités sont assez vastes et s’attardent aussi bien sur des résultats ou des événements sportifs, comme le traitement de faits divers. Cependant, les « reportages » dédiés à la politique du régime nazi représentent plus de la moitié de la grille éditoriale. Dans l’immense majorité des cas, la présentation de ces événements est entièrement mise en scène. Ce sera également souvent le cas après le déclenchement de la guerre, à propos des sujets traitant des actualités des fronts. Au final, ces reportages sont tellement « joués » et manipulés que même de nos jours, leur utilisation à des fins historiques ne peuvent être faite qu’avec la plus grande prudence.
Le cas de la musique et de la propagande nazie à travers les sorties nocturnes
Comme la majorité des orchestres allemands sont déjà gérés par l’État, les premières purges dans l’univers de la musique s’opèrent dès les premières semaines de l’exercice du pouvoir hitlérien. Les nazis veulent créer une musique qu’ils qualifient d’authentiquement allemande. C’est-à-dire que les styles musicaux issus des diverses influences étrangères doivent être éliminés. Leurs musiciens et chanteurs chassés.
La suppression des influences étrangères de la culture allemande
Le jazz par exemple, issu de la culture Afro-Américaine, s’est répandu à travers l’Allemagne durant les années 1920. Pour les nazis, cette culture étrangère est racialement jugée « inférieure ». Selon eux, elle n’aurait tout simplement pas sa place dans le pays. Désignée comme de la « musique nègre », cette dernière est jugée immorale, barbare et sexuellement provocante. Pour toutes ces raisons – et bien d’autres encore – elle serait contraire à l’esprit allemand que veut créer Hitler.
Dès lors, nombreux sont les musiciens étrangers d’orchestres de jazz, mais aussi de swing ou de musiques dansantes qui – dans un environnement qui leur est devenu hostile – décident de quitter l’Allemagne. En même temps, les artistes juifs eux, sont massivement forcés à l’exil. Naturellement, toutes leurs œuvres ne sont plus diffusées à la radio.
La propagande nazie au sein des milieux de la nuit
Pendant les « années folles allemandes », le développement de ces nouveaux genres musicaux a débouché sur un autre développement : celui des activités nocturnes. Avec ses nombreux cabarets, Berlin en est le parfait exemple. Ouvertement politisés, ils sont les premières cibles des Chemises brunes. Chanteurs, musiciens et même humoristes sont chassés et réduits au silence, à partir du moment où ils sont identifiés comme Juifs, communistes, sociaux-démocrates ou plus généralement de gauche. Cette véritable chasse à l’homme en pousse plus d’un au suicide.
Toutefois, les nazis ne cherchent pas à faire disparaître les cabarets du paysage culturel. Ils sont tout à fait conscients du succès qu’ils rencontrent. Pour ne pas miner le moral de la population – déjà bien mis à mal par la crise économique de 1929 – les nazis encouragent le « cabaret positif ». En d’autres termes, des cabarets composés d’Allemands qui correspondent à l’idéologie nazie et qui orientent leurs blagues et leurs chansons contre les ennemis identifiés du national-socialisme. Voilà comment la propagande nazie s’invite même jusque dans les salles de spectacle.
La propagande nazie jusque dans l’art
Inévitablement, les sculpteurs et peintres sont confrontés aux mêmes persécutions que les autres univers artistiques précédemment énoncés. Se qualifiant lui-même comme un artiste, Hitler estime que l’art ne peut être apolitique. En fait, il fait plutôt de ses propres préjugés une politique. Aussi et toujours selon lui, la peinture et la sculpture doivent en rester au traditionalisme pur. Le modernisme étant jugé « décadent ». Plus que dans n’importe quel autre univers artistique, Hitler y joue un rôle certainement plus important.
Les purges artistiques
Ainsi, de nombreuses œuvres sont retirées des galeries. Qu’il s’agisse d’acquisitions étrangères ou de réalisations allemandes ne fait aucune différence à partir du moment où celles-ci n’entrent pas dans les codes idéologiques nazis. Il est important de rappeler que bon nombre des artistes « purgés » jouissent pourtant d’une notoriété nationale ou internationale. Jusqu’à présent, ils n’avaient jamais été les victimes d’une telle haine. Mais la campagne de répression nazie n’a en réalité pas grand chose à voir avec l’art. Il s’agit bien là d’une question raciale et politique. Car l’œuvre en question est aussi jugée à travers son auteur. Par exemple, celle-ci peut être qualifiée d’acceptable visuellement. Mais si son auteur est Juif ou de gauche, elle ne l’est plus.
Rien qu’au cours de l’année 1933, 27 conservateurs de galeries et de musées sont révoqués. Ils sont remplacés par des fidèles du parti, qui se démènent pour décrocher toutes les œuvres désormais indésirables. A ce même titre, de grands peintres impressionnistes allemands sont évincés de la célèbre Académie prussienne des arts. Pour ce qui est des sculptures, celles représentant des hommes massifs, musclés et surdimensionnés sont davantage mise en avant. En effet, elles sont identifiables aux surhommes aryens, ventés par la propagande nazie. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres.
Les expositions de propagande sur « l’art dégénéré »
A partir de 1933 et tout au long des années suivantes, les nazis organisent des expositions dans plusieurs villes allemandes. Certaines d’entre-elles sont même itinérantes. Elles se déplacent de régions en régions, afin de toucher le plus de monde possible. Ces présentations n’existent que pour des raisons très précises : éduquer le peuple à ce qui serait contraire à l’art allemand, et susciter la haine envers les Juifs et les sympathisants de gauche.
Gratuites, ces expositions portent des noms accrocheurs comme le « Musée des horreurs de l’art », « Images du bolchevisme culturel », « Miroir de la décadence de l’art » pour ne citer qu’elles. L’une des plus importantes – pour ne pas dire la plus importante – est celle voulue par Hitler : « L’art dégénéré ». Jugée trop choquante pour le jeune public, son entrée y est interdite aux enfants. En réalité, il s’agit surtout d’une combine parmi tant d’autres pour susciter l’intérêt des Allemands.
Inaugurée le 19 juillet 1937, cette exposition rassemble environ 650 œuvres, volontairement mal accrochées, mal éclairées et agglutinées les unes aux autres. Sous les tableaux présentés, on y indique une « légende » provocatrice du type « insulte à la féminité allemande ». Parfois, on y indique aussi le montant dépensé par son précédent propriétaire, de sorte à soulever l’indignation dans un pays qui peine à se nourrir correctement.
Selon plusieurs témoignages, l’atmosphère régnant aux sein de ces expositions est dominée par la haine et de multiples railleries. Encouragés par la presse écrite principalement – naturellement contrôlée par le ministère de la Propagande – les Allemands s’y déplacent par millions. La plupart d’entre eux n’avaient encore jamais mis les pieds dans une galerie d’art.
Exclu de l’Académie prussienne des arts à l’âge de 86 ans, Max Liebermann résume parfaitement la situation du moment, en une phrase aussi courte qu’impactante :
On ne peut pas bouffer assez pour satisfaire son envie de dégueuler.
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