Quand l’Allemagne bascule vers un régime totalitaire

Pour devenir le parti unique d’Allemagne, le Parti nazi a recours à des méthodes qui en font véritablement sa marque de fabrique : intimidations, violences et mensonges. Méticuleusement, il liquide toute l’opposition politique en l’espace de quelques mois seulement. Le 14 juillet, le gouvernement dirigé par Hitler promulgue la loi « contre la reconstitution des partis politiques ». La route vers l’établissement d’un régime totalitaire est toute tracée. 

Logo Parti nazi (NSDAP) - Elections législatives allemandes de mars et novembre 1933 - Parti unique à partir de juillet 1933

Contexte historique avant l’établissement du parti unique

Nommé chancelier du Reich le 30 janvier 1933, Hitler parvient à asseoir son emprise sur un pouvoir qui lui sera très bientôt total. Pour l’heure cependant, contraint à une coalition avec les conservateurs, il est encore limité dans ses actions. Mais les événements jouent en sa faveur ou plutôt, Hitler sait jouer des événements. Dans sa quête de destruction de la République de Weimar, les partis de gauche sont les premières cibles.

L’incendie du Reichstag et le décret « pour la protection du peuple et de l’état »

Moins d’un mois après l’arrivée au pouvoir de Hitler, le Reichstag (Parlement allemand) est incendié dans la nuit du 27 au 28 février. Le criminel est rapidement arrêté et l’enquête menée par la police est formèle : il s’agit d’un acte élaboré par un individu isolé.

Cependant et depuis plusieurs mois, la propagande nazie fait courir le bruit d’un soulèvement communiste qui, chaque jour, serait de plus en plus imminent. Très rapidement l’incendie du Reichstag est alors volontairement interprété et présenté comme étant son signal déclencheur.

En réalité, ce supposé soulèvement communiste n’existe que dans la tête des nazis. Quoi qu’il en soit et dès le lendemain, le décret d’urgence « pour la protection du peuple et de l’état » est adopté. Abolissant les libertés fondamentales et individuelles, il devient déjà l’occasion de porter un coup sérieux au Parti communiste (KPD), avant les élections législatives, prévues le 5 mars suivant.

Les élections législatives du 5 mars 1933

Destinées à renouveler les députés du Reichstag, ces élections législatives sont cruciales pour Hitler. Désormais au pouvoir, il souhaite placer un maximum de députés nazis au parlement, en quête de la majorité absolue. Avant ce scrutin, le gouvernement était bien tenté d’interdir le Parti communiste, dans le cadre du décret « pour la protection du peuple et de l’État ». Néanmoins, il ne le fait pas dans l’unique crainte que son électorat ne se déplace en masse vers l’autre Parti de gauche : la Parti Social-démocrate (SPD).

Au soir du 5 mars, le Parti nazi arrive en tête des élections, mais avec « seulement » 43,9% des voix. Il ne remporte finalement la majorité absolue que grâce aux conservateurs de la coalition gouvernementale (le Parti populaire national allemand), qui réalisent un maigre score de 8%.

Non seulement Hitler est encore à la merci des conservateurs mais surtout, la gauche représente encore – malgré toutes les violences et la très forte répression – près du tiers des suffrages exprimés. Hitler voulait la majorité absolue, mais il voulait aussi se rapprocher le plus possible de la majorité des deux tiers, indispensable pour changer la constitution.

La liquidation du Parti communiste (KPD)

Au cours de cette année marquée par la disparition de l’opposition politique au Parti nazi, le premier à en faire les frais est le Parti communiste (KPD). Dans le cadre du décret « pour la protection du peuple et de l’Etat » et au lendemain des élections législatives du 5 mars, tous les élus sont privés de leur mandat alors que la quasi-totalité de la direction du KPD est déjà arrêtée et placée en détention. Dans ce même temps, tous les biens du parti sont confisqués. Dans ces conditions, il ne peut naturellement plus survivre et est condamné à une lutte clandestine.

La loi des pleins pouvoirs à Hitler

Au lendemain des élections législatives, les députés communistes sont donc chassés, arrêtés et placés en camp de concentration.

Le 23 mars 1933, Hitler se présente au Reichstag, avec pour ambition de faire voter la loi d’habilitation (loi des pleins pouvoirs). Une telle loi passe par la modification de la constitution. Pour y parvenir, il lui faut impérativement une majorité des deux tiers de la chambre du Parlement. Comme les 81 députés communistes sont absents (soit ils sont déjà arrêtés soit ils tentent de fuir les persécutions), cette majorité se rapproche déjà inéluctablement. De 432 voix, elle tombe à 378. Mais rien n’est encore gagné.

Pour « convaincre » les députés des autres camps, les nazis utilisent leurs méthodes habituelles : intimidations, manipulations et fausses promesses. Finalement, dans un Reichstag cerné de Chemises brunes et de SS, la loi accordant les pleins pouvoirs à Hitler est adoptée. Désormais, celui-ci peut gouverner par décret, sans en référer ni au parlement, ni au président.

Vers le parti unique

Aux précédentes législatives de 1932, les communistes et les sociaux-démocrates cumulaient à eux deux bien plus de voix que les nazis. Désormais débarrassés du Parti communiste, la prochaine cible est donc d’ores et déjà toute trouvée : le Parti ouvrier de gauche Social-démocrate (SPD). Les autres partis eux, suivront très bientôt.

La liquidation du Parti Social-démocrate (SPD)

La force du Parti Social-démocrate réside beaucoup dans sa proximité avec les syndicats ouvriers. Sur le terrain et du point de vue des nazis, cette force syndicale ne peut être prise à la légère, bien qu’elle soit largement inférieure au Chemises brunes (SA) du NSDAP (Parti nazi). Si la brutalité déchaînée est bien entendu de mise, Hitler est aussi contraint d’agir avec méthodologie.

L’absorption des syndicats

Depuis le début de l’année 1933, les syndicalistes eux-mêmes sont déjà victimes de vastes campagnes de violences, d’arrestations et même de meurtres. Leurs journaux sont interdits et nombre de leurs antennes régionales sont attaquées par des SA, des SS ou la police. Continuellement menacés, leurs dirigeants comprennent qu’ils ne sont tout simplement pas en mesure de résister.

Alors, lorsque la répression nazie contre le parti Social-démocrate devient plus qu’évidente, les syndicats tentent de s’en distancer et à chercher un arrangement avec le nouveau régime. Une manière – pensent-ils – de se protéger. Ce choix est également motivé par le fait que les nazis promettent au peuple allemand la création de nombreux emplois. Or, les syndicats militent en ce sens depuis déjà de nombreuses années.

Le 1er mai, ils acceptent de participer à une grande opération orchestrée par Goebbels : « le jour du travail national ». Au soir-même de cette journée « festive », Hitler promet à la radio que le chômage serait bientôt de l’histoire ancienne. De cette vaste opération de propagande, il en ressort finalement que les syndicats sont désormais unis et derrière le national-socialisme.

Dès le lendemain, le 2 mai, les SA et les SS occupent tous les bureaux des syndicats sociaux-démocrates. Leurs principaux dirigeants sont arrêtés et mis en détention provisoire dans des camps de concentration, pour une durée allant de une à deux semaines. Durant ce temps, ils sont battus, humiliés, certains assassinés.

En attendant, tous les biens des syndicats sont transférés au Parti nazi. Les organisations elles, sont forcées d’intégrer l’Organisation nationale-socialiste des cellules d’entreprise : le syndicat nazi, qui n’avait par ailleurs jamais brillé par le passé. Tous les autres syndicats allaient bientôt suivre et rejoindre à leur tour le syndicat unique.

L’anéantissement du Parti Social-démocrate

Désormais débarrassés de son aile syndicaliste, les nazis savent que le parti en lui-même n’a plus les moyens de résister. Un éventuel soulèvement est de fait rendu impossible après les événements expliqués ci-dessus. Le 10 mai, tous les biens du SPD sont saisis par la justice, en raison de soit-disant « détournements » constatés lors du transfert des fonds des syndicats vers le Parti nazi.

Le butin saisit est absolument considérable et finalement, la Parti Social-démocrate n’a rapidement plus les moyens de vivre, ni même d’espérer une renaissance. Voyant leur chute arriver et les menaces s’amplifier davantage, certains dirigeants décident de s’exiler à Prague. Rapidement, ceux-là sont accusés de salir l’image de l’Allemagne depuis l’étranger et qualifiés de traîtres par le gouvernement.

Le 21 juin suivant, le ministre de l’Intérieur du Reich ordonne l’interdiction du parti sur les bases du décret « pour la protection du peuple et de l’État ». Plus aucun député n’est autorisé à siéger pendant que plus de 3000 fonctionnaires sociaux-démocrates sont arrêtés, torturés à travers toute l’Allemagne, puis jetés en prison ou en camp de concentration. Le SPD est totalement anéanti et fermera officiellement dès le lendemain.

La dissolution du Parti du centre (Zentrum)

Si la gauche allemande est anéantie, il reste malgré tout une force politique importante : le Parti du centre. Très identifié à l’église catholique, sa disparition forcée par les nazis ne peut être obtenue par la violence. Hitler sait que les liens établis entre les Allemands et le christianisme sont forts. De fait, s’attaquer à la religion, serait interprété comme une attaque directe contre le peuple.

La promesse d’un nouveau concordat

En Allemagne – mais c’est aussi le cas dans d’autres pays d’Europe – les catholiques s’inquiètent pour la place de l’Église dans un pays qui – selon la propagande nazie rappelons-le – serait menacée par le communisme athée.

Parallèlement à leurs actions contre les partis de gauche, les nazis promettent l’établissement d’un nouveau concordat. En d’autres termes, ils promettent de protéger les institutions catholiques et leurs positions dans la société allemande. Pour assurer cette promesse, les évêques décident de revenir sur leur opposition au nazisme. À certains égards et dans certains milieux religieux, cette tolérance passive se transforme peu à peu en soutien actif, même si les propos insistants sur « la race » inquiètent encore.

De fait, les catholiques sont davantage motivés pour la défense de leurs institutions, de leurs écoles et de leurs organisations, plutôt que de celles des partis politiques catholiques. Dans ce même temps, les négociations menées entre le gouvernement allemand et le Vatican ne font qu’affaiblir la position de ces derniers. En effet, le Saint-Siège accepte l’interdiction faite au clergé allemand d’exercer la moindre activité politique. En échange, l’Église pense obtenir des garanties qui – le temps le montrera – seront finalement peu solides.

La dissolution des partis catholiques

En menant des négociations avec le Vatican, les nazis montrent – d’une certaine manière – qu’ils font la distinction entre l’Église et la politique pure. De fait, la répression contre les partis catholiques peut avoir lieu, leurs positions s’étant considérablement affaiblies.

Dès le mois de mai, des personnalités politiques, des militants, des journalistes – essentiellement issus du Parti Zentrum – sont arrêtés en raison de leurs précédentes publications ou actions contre les nazis ou le gouvernement. Le 26 juin, tous les députés du Parti populaire bavarois (allié du Zentrum), ainsi que de nombreuses autres personnes qui s’étaient montrées actives dans la politique du centre, sont arrêtés. Le parti se dissout le 4 juillet.

Conclu le 1er juillet, le concordat pousse le Zentrum à se dissoudre lui aussi, le 5 juillet. Il était le dernier parti politique à avoir survécu à celui du NSDAP.

La disparition des autres partis politiques

Bien qu’étant celui qui a le plus contribué aux succès de Hitler, le Parti conservateur – membre de la coalition gouvernementale avec le Parti nazi – n’en tire aucun bénéfice. Dès lors que le chancelier obtient les pleins pouvoirs, son utilité est de fait réduite à néant. Le 27 juin, il annonce sa propre dissolution et une grande partie de ses troupes sont directement absorbées par le NSDAP. Le même jour, le Parti d’État bourgeois, voyant les mandats de ses 5 députés annulés, en fait de même.

Finalement, dans le reste du paysage politique allemand, les plus petits partis subissent plus ou moins les mêmes sorts. Mais leurs rôles et leurs importances étant plus mesurés, ils disparaissent sans soulever le moindre intéret.

La Parti nazi devient le parti unique

En détruisant les organisations du mouvement ouvrier – à l’aide de la justice, de la police et la neutralité bienveillante de l’armée – les nazis viennent de mettre les travailleurs au pas. Alors que les catholiques sont désormais effacés de la vie politique allemande, tous les obstacles à la création d’un État de parti unique sont de fait écartés.

Loi du 14 juillet 1933 « contre la reconstitution des partis » et du parti unique

A l’été 1933, le Parti nazi ne peut que constater qu’il est désormais le seul parti politique en Allemagne. Pour lui assurer cette place à long terme, le régime prend acte de la situation et promulgue une nouvelle loi. Décrétée le 14 juillet, celle-ci interdit la constitution de nouveaux partis et reconnait ainsi l’existence du parti unique.

Malgré une résistance électorale réelle, aucune organisation politique n’a survécu à Hitler. Il en va de même pour les syndicats, dorénavant tous rassemblés en un syndicat unique nazi. En à peine plus de six mois, le régime parlementaire et l’État de droit ont été complètement pulvérisés, au profit d’un régime totalitaire.

élections législatives du 12 novembre 1933 avec un parti unique : le Parti nazi

Dès l’automne suivant, Hitler annonce la dissolution du Reichstag. De nouvelles élections législatives sont organisées le 12 novembre suivant. Bien évidemment, elles s’annoncent bien différentes de celles tenues en mars. Etant désormais le parti unique, ce scrutin doit permettre au Parti nazi d’obtenir un parlement entièrement dévoué au national-socialisme, tout en se débarrassant définitivement des députés appartenant aux partis politiques disparus.

Vers la Nuit des longs couteaux

Si Hitler parvient à acquérir un pouvoir immensément puissant, il n’est pour autant pas encore total. Face à lui se dressent encore l’armée régulière et le président de la République de Weimar. Depuis le mois d’avril, le chancelier sait que ce dernier est malade et que ses jours sont comptés. Sa mort sera un moment critique pour le régime comme pour Hitler, qui souhaite lui succéder.

Pour parvenir à cet objectif, la Nuit des longs couteaux se présentera comme une étape capitale.

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