Histoire et Mémoire de la Seconde Guerre mondiale

La Nuit des longs couteaux

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Qu’est-ce que la Nuit des longs couteaux ?

La Nuit des longs couteaux est une opération criminelle d’État, se déroulant du 30 juin au 2 juillet 1934. Rétroactivement rendue légale par une loi, légitimant également tous les crimes à venir, elle est présentée par la propagande nazie comme une “purge au sein des Chemises brunes“. Elle est en fait bien plus que cela. En faisant tomber les dernières oppositions et les dernières fondations de l’État de droit, la Nuit des longs couteaux est en réalité un véritable basculement vers la dictature hitlérienne. De cette sanglante nuit découlent toutes les horreurs du nazisme.

Nuit des longs couteaux - Assassinat de Röhm par Hitler

Adolf Hitler et Ernst Röhm, assassiné après la Nuit des longs couteaux à la demande de Hitler – Photographie prise en 1933 – Bundesarchiv, Bild 146-1982-159-21A

Pourquoi la Nuit des longs couteaux ?

Le 6 juillet 1933, Hitler réunit ses dirigeants nazis les plus proches. Selon lui, la révolution nationale-socialiste est une totale réussite. Le pouvoir étant maintenant acquis, le temps de la stabilisation du régime est venu. En d’autres termes, les violences perpétrées par les Chemises brunes (SA), qui ont été indispensables à sa prise du pouvoir, à l’anéantissement de l’opposition politique et à la “mise au pas” de la société allemande, doivent désormais s’arrêter au plus vite.

La révolution n’est pas un état permanent. Elle ne doit pas devenir un état permanent. Le torrent de la révolution a été libéré, mais il faut le dompter et l’orienter vers le canal stable de l’évolution.

(…) L’appel à une seconde révolution était justifié tant qu’il restait en Allemagne des éléments pouvant constituer des foyers de cristallisation pour une contre-révolution. Cela n’est plus le cas. Ne laissons subsister aucun doute : une telle tentative sera réprimée dans le sang si nécessaire.

Adolf Hitler

Chancelier du Reich, le 6 juillet 1933 lors d'une réunion avec les dirigeants nazis

L’heure de la stabilisation du régime

Si Hitler souhaite la fin de ces violences, ce n’est pour autant pas un acte de bienveillance pure. En réalité, s’il prétend que le pouvoir lui appartient désormais, sa position demeure encore fragile. Le pouvoir peut encore lui échapper.

Pour éviter une telle issue, le Chancelier Hitler doit s’assurer un maximum de soutiens : au sein de son propre gouvernement, également composé de conservateurs, mais aussi de la part du Président de la République et de l’armée. S’il est urgent de mettre fin aux débordements des SA, c’est parce que les Chemises brunes exaspèrent de plus en plus.

Conflit entre les SA et le parti nazi

Dirigée par Ernst Röhm, l’un des rares amis de Hitler, la SA est la puissante organisation paramilitaire du parti nazi. Composée d’environ 4,5 millions d’hommes au début de l’année 1934, elle soutient les idées nationales-socialistes mais entend cependant garder son indépendance politique. Ce désaccord avait déjà été le fruit de querelles entre l’organisation et son parti, dans les années 1920. Pour autant, Hitler est toujours parvenu à maintenir sa loyauté envers le NSDAP (parti nazi) et surtout envers sa propre personne.

La seconde révolution de Röhm

Mais lorsque Hitler annonce l’arrêt de la “révolution politique”, Röhm – de son côté – entend poursuivre une “révolution sociale”. Il parle alors de “seconde révolution”, qui doit être marquée de réformes économiques et sociales fortes, fidèles aux anciennes idées anticapitalistes du parti nazi.

Il est vrai que dans un passé très proche, Hitler s’adressait essentiellement aux ouvriers, afin de le porter au pouvoir par les urnes. Désormais, c’est surtout aux riches industriels, dont les apports économiques et de productions seront indispensables à la bonne réalisation de l’un de ses principaux objectifs : la guerre.

D’un autre côté cependant, ces mêmes industriels commencent à se plaindre des agissements violents des SA, qui perturbent de manière certaine leur activité. Aussi, ils se montrent de plus en plus inquiets par l’aggravation des problèmes économiques de l’Allemagne.

La désillusion des Chemises brunes

Parallèlement et comme elles ont joué un rôle capital dans l’établissement du pouvoir nazi, nombre de Chemises brunes attendent un retour. Elles espèrent naïvement l’obtention de fonctions officielles ou bien de gratifications financières. Ce n’est pas le cas. Car si la SA a été conçue comme un appareil utile et nécessaire à la conquête du pouvoir, la question de son rôle et de sa fonction dans “l’après-conquête” n’a jamais été réellement discutée.

De fait, la désillusion monte et les violences des Chemises brunes continuent de perturber le quotidien de l’Allemagne. Démunies d’objectifs et finalement de rôle de premier rang, elles se livrent désormais à une réelle forme d’errance. Le plus souvent sans motifs sérieux, elles multiplient les bagarres et les affrontements à travers toute l’Allemagne. Certains de ses hommes s’enivrent à ne plus en finir, s’en prenant à des passants assurément bien inoffensifs.

Pour toutes ces raisons, les liens entre le parti nazi et son aile paramilitaire s’affaiblissent incontestablement. Dès l’été 1933, les incidents impliquant les SA commencent à susciter l’indignation de toute part : dans le milieu de l’industrie – nous l’avons vu – mais également dans celui du commerce, dans les différentes administrations locales du pays, naturellement au sein de la population, mais aussi jusque dans les ministères du Reich, dans les sphères pronazies, et surtout au sein du haut commandement de l’armée et jusqu’au président de la République lui-même.

Non seulement la SA menace d’échapper à tout contrôle, mais la puissance qu’elle est en train d’acquérir par ses effectifs et ses armes, tout comme le culte du chef qui se développe autour de Röhm, inquiètent Hitler à plus d’un titre. En effet, les théories selon lesquelles la SA pourrait mettre le parti nazi dans son ombre, voire de le remplacer purement, ne sont pas de l’ordre du fantasme. De fait, la mettre hors d’état de nuire s’avère être une tâche à la fois complexe et risquée pour le chancelier au pouvoir.

Conflit entre les SA et l’armée régulière

Naturellement, Hitler n’est pas le seul à s’inquiéter de la puissance des Chemises brunes. C’est également le cas de l’armée régulière, représentée par le ministre de la Guerre du Reich : Werner von Blomberg. Théoriquement limitée à 100 000 combattants par le traité de Versailles, ses effectifs sont infiniment plus faibles. En revanche, elle est de très loin mieux équipée et mieux entraînée. Mais surtout, Hitler ne peut se permettre de l’avoir à dos. Car s’opposer à l’armée, c’est s’opposer au Président de la République de Weimar, Paul von Hindenburg, qui en est le commandant suprême.

Quand l’armée se rapproche de Hitler

Si l’armée n’est pas une institution nazifiée, sa neutralité s’est tout de même tournée en faveur de Hitler, depuis son arrivée au pouvoir. En effet, ce dernier a fait des promesses, et pas des moindres : une expansion massive de ses effectifs par le rétablissement de la conscription et une politique étrangère agressive. Celle-ci passerait par la récupération des territoires perdus à l’issue de la Première Guerre mondiale, ainsi que par une nouvelle guerre de conquête, à l’Est de l’Europe.

Pendant un temps, l’armée régulière (la Reichswehr), initialement apolitique, voyait en la SA une source potentielle de recrutements. Cependant, elle craignait aussi, par cette méthode, de favoriser une infiltration politique. De plus, elle méprisait aussi les Chemises brunes parce que des combattants, autrefois chassés de ses propres rangs dans le déshonneur, figuraient aujourd’hui parmi leurs chefs. Ainsi, elle préféra militer pour le rétablissement de la conscription et donc se tourner vers Hitler.

Le 1er février 1934, Röhm aurait adressé un mémorandum à Blomberg. Dans celui-ci, le chef des SA aurait ni plus ni moins exigé de l’armée la concession de la défense de l’Allemagne et la fourniture de soldats entraînés. En d’autres termes, l’armée serait donc rétrogradée au second rang de la puissance militaire allemande. Evidemment, une telle demande ne peut que susciter l’horreur chez les soldats de métier, qui s’en remettent à Hitler. Contraint de choisir entre la Reichswehr – avec le soutien de Hindenburg – et l’armée de son parti, il ne peut donc s’engager que dans un seul et unique sens. En bref, Hitler est contraint de trancher.

Dans l’unique objectif de l’amadouer et de gagner ses faveurs contre la SA, Blomberg décide d’introduire l’emblème nazi sur les uniformes de l’armée et d’insérer le “paragraphe aryen” pour le corps des officiers. Parce que Juifs, soixante-dix gradés sont ainsi directement renvoyés. De telles décisions, ne sont que l’oeuvre de Blomberg lui-même.

L’accord du 28 février 1934

Pour tenter de clarifier la situation, une réunion est organisée le 28 février suivant, entre Hitler, les dirigeants SA, SS et le haut commandement de l’armée régulière. Au cours de celle-ci, Hitler est formel : la force militaire de la future Allemagne sera une armée de métier, bien équipée, bien entraînée. En son sein, les Chemises brunes auront uniquement – et au mieux – un rôle d’auxiliaires. Dans une ambiance absolument glaciale, Röhm est forcé de signer un accord dans lequel il s’engage à ne pas tenter de remplacer l’armée par sa milice.

Cependant, à la sortie de cette même réunion, le chef de la SA annonce à ses hommes son intention de ne pas obéir au “caporal ridicule” (en référence au grade de Hitler pendant la Première Guerre mondiale) et menace même de le mettre “en permission”. Le principal intéressé est rapidement informé de cette déclaration, puisqu’il fait surveiller Röhm depuis déjà quelque temps, par l’intermédiaire même d’un SA : Viktor Lutze.

L’armée, elle aussi, se met à surveiller les Chemises brunes. De fait, l’organisation paramilitaire poursuit et intensifie même ses exercices militaires et ses grands défilés. Mais elle commence en plus à se doter d’un véritable arsenal de guerre. Rapidement, des informations selon lesquelles des chefs locaux des SA prophétisent la création d’un “État SA” et d’un coup d’État commencent à se multiplier.

Il n’en faut pas plus pour inquiéter le haut commandement, qui transmet les informations à Hitler. Bien que ces déclarations soient locales et en aucun cas coordonnées, l’armée met la pression sur Hitler. Il doit agir. En réalité, Ernst Röhm n’a jamais envisagé un tel plan. Malgré la poursuite des violences et des incidents, il n’a aucune intention de provoquer le moindre putsch. Tout du moins, dans l’immédiat.

Le cas des conservateurs et de von Papen

Lorsque le président Paul von Hindenburg nomme Hitler à la Chancellerie du Reich, en janvier 1933, ce devait être une solution provisoire. Incarnant les valeurs de la droite conservatrice, Hindenburg s’était longuement opposé à l’idée de faire entrer le chef nazi au gouvernement. Encore moins de le lui confier. Mais il avait été convaincu par les conservateurs et son propre entourage.

Von Papen pour contrôler Hitler

Hitler devait ainsi être la figure d’un nouveau gouvernement, dans lequel les conservateurs seraient majoritaires. C’est pour cette raison que Franz von Papen – principal représentant de la droite conservatrice – y fut nommé vice-chancelier. Hitler lui, est alors limité à la nomination de deux ministres nazis seulement. Proche du Président, la mission de von Papen consiste ni plus ni moins qu’à contrôler Hitler. Dans ce rôle, il est certain que sa mission est un échec.

En effet, nombre de ministres conservateurs sont rapidement remplacés par des ministres nazis. La position des conservateurs s’affaiblit alors incontestablement, pendant que Hitler conforte son pouvoir grâce au décret pour “la protection du peuple et de l’État”, adopté après l’incendie du Reichstag.

Néanmoins, aussi précaire que soit la position de von Papen, derrière lui se tient encore un soutien de taille : celui du président. Mais depuis le mois d’avril 1934, on sait que ce dernier est tombé gravement malade. Ses jours sont comptés. Dès lors, la prévisible et prochaine mort de Hindenburg s’annonce être un moment critique pour le régime. Les conservateurs comptent bien prendre les devants.

Le discours de von Papen à l’université de Marburg

Témoin de la crise entre l’armée et les SA, von Papen essaye d’en tirer profit, afin de renforcer la position de ses troupes. Le 17 juin 1934, il prononce un discours virulent à l’université de Marburg, dans lequel il dénonce l’attitude des SA et la menace d’une “seconde révolution”. Il s’en prend aussi au culte de la personnalité de Hitler. Selon lui, il est grand temps de mettre fin au désordre de la révolution nazie. Son intervention est accueillie par un tonnerre d’applaudissements.

Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, personne n’avait encore osé critiquer aussi ouvertement Hitler. A travers ce discours, von Papen espère ainsi pousser Hindenburg et l’armée à agir contre le chancelier. En d’autres termes, à le sortir du jeu. A travers l’Allemagne, les mots de Papen se répandent comme une trainée de poudre, d’autant plus que les premières déceptions, liées aux promesses non tenues des nazis, commencent à se faire ressentir.

Ce n’est pas la propagande qui fait les grands hommes, ce sont leurs actions. Aucune nation ne peut vivre dans un état de révolution continue. Le dynamisme permanent ne permet de poser aucune fondation solide. L’Allemagne ne saurait vivre dans un état de troubles perpétuels, dont nul ne voit la fin.

Franz von Papen

Vice-chancelier du Reich, Discours du 17 juin 1934

La préparation de la Nuit des longs couteaux

Finalement, la position de Hitler est donc mise en danger par les Chemises brunes d’un côté, et par les critiques publiques des conservateurs de l’autre. Le 21 juin suivant, il apprend que le Président Hindenburg est prêt à proclamer la loi martiale et à remettre le pouvoir à l’armée, dans le cas où les SA ne seraient pas immédiatement mis au pas. Pour Hitler s’en est trop.

L’élaboration du complot contre Röhm

En réalité, c’est au tout début de l’année 1934 – probablement après le mémorandum de Röhm – que Hitler comprend qu’il n’a plus le choix que de mettre la SA au pas.

Dès lors, et même s’il ne sait pas encore par quels moyens agir, il aurait donné l’ordre à Göring de surveiller les activités des Chemises brunes. Rapidement, les informations s’accumulent avec celles transmises par l’armée. Cependant, les choses s’accélèrent durant le mois d’avril, lorsqu’il demande à Himmler (chef de la police politique) et à son adjoint  Heydrich (chef du service de sécurité SS) de constituer un dossier complet sur les agissements et les potentiels projets des SA.

Si l’on doit trouver une particularité commune entre ces trois derniers hommes et Röhm, c’est que tous se détestent mutuellement. Tous se concentrent sur leurs objectifs de conquête de pouvoir personnel. Inévitablement, avec ses 4,5 millions d’hommes sous ses ordres, Röhm a pris une avance considérable. Devenu à leurs yeux une menace et profitant de la situation, les trois premiers mettent leurs différents de côté et s’unissent le temps de l’éliminer.

Göring, Himmler et Heydrich commencent alors à constituer un dossier chargé de preuves, dont la plupart sont fabriquées de toutes pièces. Selon celles-ci, Röhm et ses SA prépareraient un soulèvement à l’échelle de toute l’Allemagne. En plus, ils se seraient accordés avec des conservateurs et ils seraient même soutenus par le gouvernement français.

L’imminence d’un soulèvement SA ?

Les charges contre les Chemises brunes, transmises par le cercle proche de Hitler comme par l’armée s’amassent. Qu’elles soient réelles ou totalement inventées n’importe finalement plus. Röhm s’est fait trop d’ennemis et nombreux sont ceux qui veulent véritablement croire à un putsch imminent. En réalité et malgré leurs insubordinations envers le régime, les Chemises brunes n’y songent pas un instant, parce qu’elles demeurent – malgré tout – encore fidèles à Hitler.

Le 26 juin, l’armée est mystérieusement informée que Röhm aurait donné l’ordre d’armer les SA, en vue d’une attaque contre elle. Décidé à agir, Hitler annonce dès le lendemain son intention de réunir les chefs SA, pour une conférence à Bad Wiessee, à un cinquantaine de kilomètres au sud-est de Munich. C’est à ce moment qu’il prévoit de les faire arrêter.

Lancement de la sanglante Nuit des longs couteaux

Le 28 juin, Hitler est à Essen en compagnie de Göring et de Lutze pour les noces d’un proche nazi. Au cours de la réception, il est informé par Himmler que Hindenburg vient d’accepter un entretien avec von Papen. Celui-ci doit avoir lieu le 30 juin et il pourrait très probablement s’agir d’une ultime tentative du représentant des conservateurs contre Hitler.

Actions à Bad Wiessee contre les Chemises brunes

Sitôt informé, le chancelier quitte précipitamment la réception pour regagner son hôtel. Par téléphone, ordre est donné à l’aide de camp de Röhm de veiller à ce que tous les chefs SA soient présents le 30 juin, à Bad Wiessee. Entre-temps, l’armée qui avait assuré son soutien à Hitler, est mise en état d’alerte. Göring lui, reçoit l’ordre de regagner Berlin pour prendre localement les opérations en main, prêt à s’attaquer aux Chemises brunes comme aux conservateurs.

Le supposé soulèvement des SA

Très rapidement, les rumeurs d’une action imminente contre la Section d’assaut commence à agiter leurs membres, qui laissent éclater leur colère par des manifestations improvisées. Ces agitations donnent prétexte à informer Hitler que les “rebelles” seraient prêts à frapper Berlin. Ce qui est certainement faux, ou au mieux très exagéré.

Quoi qu’il en soit et face à l’urgence de la situation, Hitler regagne son avion vers 2h du matin, afin de rejoindre Munich. Arrivé à l’aube en compagnie de ses aides de camps ainsi que de Goebbels, Lutze et Dietrich (son chef de bureau de presse), il est immédiatement informé que près de 3000 SA en armes ont manifesté dans les rues de la ville. Si d’autres rassemblements de ce type ont effectivement eu lieu à travers toute l’Allemagne, celui de Munich est de loin le plus important.

L’arrestation de Röhm

Convaincu de la tentative de soulèvement SA, Hitler entre dans un état second de rage. Meurtri d’avoir ainsi été trahi par Röhm, pense t-il, il décide de ne plus attendre et exige d’être immédiatement conduit à Bad Wiessee, sans même attendre l’arrivée des SS, prévus pour l’action.

C’est finalement un petit convoi de trois voitures qui arrive à 6h30, devant l’hôtel Hanselbauer. A l’intérieur, Röhm et d’autres chefs SA dorment encore, après une soirée très alcoolisée. Revolver en main, Hitler entre en personne dans l’hôtel, accompagné d’une poignée de policiers, et fait irruption au premiers étage. Tel un véritable gangster, il entre dans la chambre de Röhm et lui hurle au visage son état d’arrestation.

L’arrestation des autres chefs SA

Pendant ce temps, les autres Chemises brunes présentes à l’hôtel sont provisoirement enfermées dans la buanderie de l’établissement, avant d’être transférées à la prison de Stadelheim. Au même moment, les chefs SA qui arrivent à la gare centrale de Munich, pour justement se rendre à la réunion de Bad Wiessee, sont arrêtés par les SS, dès la descente du train.

De retour à Munich, au siège du parti nazi, Hitler enrage contre les chefs SA : ils seront destitués et fusillés. Pour ce qui est du cas de Röhm, les choses ne semblent pour l’heure pas encore claires. Ce qui est certain, c’est qu’il est écarté de la direction de la SA, au profit de Viktor Lutze, le haut dirigeant SA qui informait Hitler depuis plusieurs mois.

Actions à Berlin contre les Conservateurs

Pendant ce temps à Berlin, Göring exulte. Dans son bureau, enfermé en compagnie de Himmler et de Heydrich, règne une ambiance absolument sanguinaire. Accroché à son téléphone, il ne fait qu’hurler des ordres d’assassinats.  Lorsqu’ils sont informés de la réussite d’une élimination, les éclats de rire des trois hommes s’entremêlent.

De fait, les cibles ne se limitent pas simplement aux Chemises brunes. A Berlin, l’action se déroule essentiellement contre les conservateurs. La vice-chancellerie est prise d’assaut par des agents de la Gestapo et par des SS. De part son importance, il est diplomatiquement délicat pour les nazis d’abattre von Papen. En revanche, l’avertissement est très clair : en plus d’être placé en résidence surveillée à son domicile, au moins deux de ses plus proches collaborateurs sont assassinés. C’est également le cas d’autres hauts personnages issus de la branche conservatrice, comme par exemple l’ancien chancelier von Schleicher, abattu avec sa femme par des SS, dans leur propre maison.

Ayant quitté Munich à 18h, Hitler arrive à Berlin vers 22h afin de reprendre la situation en main. Epuisé, non rasé, sa présence annonce pourtant une chose certaine ; les opérations sont encore loin d’être terminées.

Des assassinats à travers toutes l’Allemagne

Pour les nazis, l’action entreprise contre les Chemises brunes est également l’occasion de solder de vieux comptes. Gregor Strasser, l’un des grands architectes des réussîtes du parti, avant son arrivée au pouvoir, est ainsi tué. Son crime est simplement d’être l’ennemi personnel et commun de Göring et de Himmler. Gustav Ritter von Kahr, personnage clé dans la répression du putsch manqué de 1923, est poignardé à mort par des SS. Le politicien Otto Ballerstedt, qui avait fait condamner Hitler à un mois de prison pour avoir perturbé son rassemblement en 1921, est arrêté et sera fusillé à Dachau le 1er juillet suivant.

De manière générale, la purge est un avertissement qui s’adresse à tout ceux qui ne voudraient pas entrer dans les lignes définies par les nazis. Ainsi et au-delà des SA et des conservateurs, cet avertissement est aussi destiné aux officiers supérieurs du haut commandement de l’armée régulière ou encore aux catholiques, qui comprennent rapidement qu’un retour en politique n’est tout simplement pas envisageable.

L’assassinat de Ernst Röhm

Lorsqu’il est de retour à Berlin, Hitler hésite encore sur le sort qu’il réserve à Röhm. Déjà sur le plan personnel, car de par leurs histoires communes, Röhm est celui qu’il considère comme son frère d’arme. Un ami qui malgré les différents, lui est toujours resté fidèle. C’est peut-être même le seul. De plus, cette amitié liant les deux hommes n’est un secret pour personne. Pour bon nombre d’Allemands, il n’est ni plus ni moins que son véritable bras droit. Et c’est aussi pour cette raison que Hitler redoute son assassinat. Que pourrait bien penser l’opinion à propos d’un chef de gouvernement qui tue son ami le plus proche, au cours d’une opération totalement illégale ?

Mais d’un autre côté, Himmler et Göring font leur possible pour le convaincre de le liquider. Ce qu’ils finissent par obtenir le 1er juillet. Hitler aurait préféré que Röhm se suicide. Ainsi dans sa cellule, deux SS lui apportent un revolver chargé, afin qu’il se donne lui-même la mort. Comme il ne le fait pas, les SS l’abattent finalement d’une balle dans la poitrine. Son corps ne sera jamais retrouvé.

Pour annoncer sa disparition, Hitler se contente d’un simple communiqué : “L’ancien chef d’État-major de la SA, Röhm, s’est vu offrir l’occasion de tirer les conséquences de sa trahison. Il ne l’a pas fait et a donc été abattu”. Malgré ses craintes, Hitler n’aura finalement aucun mal à faire accepter sa mort.

Bilan et conséquences de la Nuit des longs couteaux

Le 2 juillet, le chancelier Hitler annonce officiellement la fin de “l’action d’épuration”. Suivant les estimations, entre 150 et 200 personnes ont été assassinées. Parmi ces victimes, 13 étaient députés au Reichstag.

Si la Nuit des longs couteaux est présentée par la propagande nazie uniquement comme une “opération d’épuration au sein de la SA”, cette action est en réalité bien plus que cela. Il s’agit véritablement d’un basculement vers une dictature totale. Les dernières oppositions tombent et elles emportent avec elles les dernières fondations de l’Etat de droit.

La reconnaissance du président Hindenburg

Après la Nuit des longs couteaux, le président Hindenburg adresse un télégramme à Hitler. Dans celui-ci, il lui exprime sa “profonde gratitude” pour son “intervention résolue” et sa “courageuse implication personnelle”. De fait, les conservateurs – à commencer par von Papen – semblent définitivement être mis sur la touche.

Le total dévouement de l’armée envers Hitler

Autrefois indépendante, l’armée du général Blomberg exprime elle aussi sa profonde reconnaissance envers le Chancelier. Dans ce même temps, elle lui assure le dévouement le plus total de ses forces. Cependant et à travers sa complicité dans les actions du 30 juin, elle est désormais étroitement liée à Hitler. Après la mort de Hindenburg, elle lui ouvrira grandement les portes d’un pouvoir absolument total. Si elle espère bénéficier d’une importante évolution grâce à lui, elle deviendra aussi et surtout son instrument.

Au sein de ses rangs, les assassinats des chefs SA sont fêtés au plus haut niveau. A tel point que même Blomberg trouve que l’attitude de certains de ses hommes n’est pas convenable. Mais le sentiment est largement partagé, à quelques exceptions près, comme par exemple celle du capitaine en retraite Erwin Planck :

 

Qui approuve une telle action, comme vous l’avez fait vous-même, sans intervenir, risque de subir tôt ou tard le même sort.

Erwin Planck

Capitaine en retraite, ex-secrétaire d'Etat de la chancellerie du Reich, Conversation entre Planck et von Fritsch

La création d’une véritable arme idéologique: la SS

“En considération des grands services rendus par la SS, surtout en relation avec les événements du 30 juin”, Hitler met fin à la subordination de la SS aux Chemises brunes. A partir du 20 juillet 1934, elle n’a désormais de comptes à rendre qu’à lui-même.

Bien qu’elle n’a pas encore la puissance qu’elle acquerra dans un futur proche, cette décision forge de fait une arme idéologique. A travers elle, Hitler pourra démontrer que tout ceux qui se dressent en travers de son chemin devront le payer de leur vie.

Justifier et légaliser la Nuit des longs couteaux

L’action de la Nuit des longs couteaux n’en demeure pas moins une opération totalement illégale. De fait, il s’agit d’une opération criminelle d’État, menée par un chef de gouvernement. Alors comment justifier et légaliser des actes purement personnels ? 

La propagande nazie

Après les faits, Goebbels radiodiffuse un long compte-rendu de l’action de la Nuit des longs couteaux. Dans celui-ci, il prétend que Röhm et l’ex-chancelier Schleicher avaient conspiré ensemble pour la réalisation d’une “seconde révolution”. Selon lui, un tel acte aurait précipité le Reich dans le chaos. Le gouvernement ne pouvait pas donc laisser faire. Dans la presse, il souligne également que la Nuit des longs couteaux est une opération visant à rétablir l’ordre et non pas à le miner.

Lors d’un conseil des ministres, le 3 juillet, Hitler prétend que Röhm, Schleicher et Strasser étaient de mèche avec le gouvernement français pour le lancement d’un putsch, qui devait justement démarrer le 30 juin.

Quand une mutinerie éclate à bord d’un navire, le capitaine n’a pas seulement le droit mais aussi le devoir de l’écraser totalement.

Adolf Hitler

Chancelier du Reich, Lors du conseil des ministres du 3 juillet 1934

Une loi rétroactive pour légaliser la Nuit des longs couteaux

Toujours lors de ce même conseil des ministres, et pour faire face aux potentielles objections juridiques qui pourraient lui être faites, Hitler prétend que toute procédure normale ne pouvait s’appliquer en de pareilles circonstances. 

Le 13 juillet suivant, devant les députés du Reichstag, Hitler développe les justifications de la Nuit des longs couteaux, dans un discours radiodiffusé à travers toute l’Allemagne. Selon lui, quatre catégories d’opposants différents avaient pris part à la supposée tentative de putsch : des communistes qui avaient infiltré les Chemises brunes, des chefs politiques qui n’avaient jamais accepté son arrivée au pouvoir, des individus sans attache qui pensaient la révolution permanente, et des personnages de la haute société qui cherchaient à combler le vide de leur existence par des commérages, des rumeurs et des complots.

Malgré l’aveu public d’illégalité largement formulé dans son discours, les autorités légales ne font part d’aucune critique. Le Reichstag applaudit.

Dans n’importe quel autre État de droit, la Nuit des longs couteaux aurait fait l’objet d’un procès pour en déterminer sa nécessité et surtout, sa légalité. Mais pas dans l’Allemagne nazie. Il n’y aura pas de procès. Après avoir présenté ses justifications à ses ministres, Hitler leur demande d’approuver un loi, composée d’un unique article rédigé ainsi : “Les mesures prises les 30 juin, 1er et 2 juillet 1934 pour combattre les tentatives de trahison envers la patrie et de haute trahison l’ont été au titre de la légitime défense de l’État et sont légales”.

Acceptée à l’unanimité, c’est donc une simple loi qui permet non seulement de légaliser rétroactivement l’action de la Nuit des longs couteaux, mais aussi d’une manière absolument certaine d’autoriser Hitler à assassiner dans l’intérêt supposé de l’État.

Si quelqu’un me fait des reproches, s’il me demande pourquoi nous n’avons pas saisi les tribunaux réguliers pour qu’ils jugent, voici ma seule réponse : à cette heure, j’étais responsable du destin de la nation allemande, et j’étais donc le justicier suprême du peuple allemand ! (…)

J’ai donné l’ordre d’abattre les principaux responsables de cette trahison. (…) La nation doit savoir que nul ne peut menacer son existence – qui est garantie par la loi et l’ordre intérieurs – et échapper au châtiment ! Et chacun doit savoir une fois pour toutes que, s’il lève la main pour frapper l’État, une mort certaine sera son destin.

Adolf Hitler

Chancelier du Reich, Extrait du discours du 16 juillet 1934

Que pense l’opinion publique de la Nuit des longs couteaux ?

A l’étranger, la Nuit des longs couteaux et surtout la méthode de gangster employée par les dirigeants de l’Etat soulèvent l’indignation. Mais en Allemagne les expressions de gratitude ne tardent pas à émerger. Rappelons cependant que les Allemands sont privés de leurs droits fondamentaux, et que la presse est entièrement contrôlée par Goebbels. De plus, la moindre critique émise en direction du nouveau régime peut s’avérer être un jeu bien dangereux.

En ce qui concerne l’action du 30 juin, elle est évidemment maintenue dans la plus grande ignorance des complots et diverses luttes de pouvoir internes. Ce qu’elle voit en revanche, c’est qu’elle est désormais débarrassée d’un véritable fléau : les Chemises brunes. Pour une grande majorité de la population allemande, la version officielle du projet de putsch et les décisions prises par Hitler sont approuvées. Par-dessus tout, il est l’homme qui a “rétabli l’ordre”.

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