Qu’est-ce que la mise au pas (Gleichschaltung) de la société allemande ?
La “mise au pas” de la société allemande – aussi appelée Gleichschaltung ou “coordination” – est un processus qui consiste à démettre tous les supposés ou potentiels ennemis des nazis de leur poste d’influence. Se déroulant essentiellement de mars à juin 1933, cette “coordination” n’épargne aucun niveau ni aucun domaine de la société (politique, économique, culturel ou associatif), et s’applique à toute l’Allemagne.
Photographie d’illustration – © Fortitude Studio – Matthieu Mugneret
Contexte d’une mise au pas forcée
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, au début de l’année 1933, Hitler prétend mener une “révolution légale” en Allemagne. Si en apparence – et en apparence seulement – la garantie d’un pouvoir quasi-total a été acquise selon les règles établies par la République de Weimar, les nazis cherchent désormais à empêcher que cette “révolution” n’échappe à leur contrôle. Pire encore, que celle-ci ne finisse par menacer leur propre position et intérêts.
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L’arrivée au pouvoir des nazis
Le 30 janvier 1933, le Président de la République de Weimar nomme Adolf Hitler au poste de chancelier et dissout le Reichstag. Alors que se déroule la violente campagne politique pour les prochaines élections législatives, le parlement allemand (le Reichstag) est incendié dans la nuit du 27 au 28 février. Selon Hitler, cet acte criminel n’est en réalité que le signal du début d’un soulèvement communiste. Monté de toutes pièces par la propagande nazie, ce prétendu soulèvement devient alors un prétexte pour l’adoption de lois liberticides et d’un renforcement sans précédent du pouvoir législatif.
La “révolution légale” et la voie de la dictature
Cette “révolution” menée par les nazis consiste ni plus ni moins qu’à remodeler la société allemande, selon leur gré. Pour mener à bien un tel projet, la prise d’un pouvoir fort est nécessaire. Après l’incendie du Reichstag, le décret “pour la protection du peuple et de l’État” est adopté. Devant être un décret d’urgence pour – soi-disant – protéger le peuple du soulèvement communiste, celui-ci abolit en réalité les libertés individuelles et permet surtout aux nazis de considérablement affaiblir les partis politiques d’opposition, à l’occasion des élections législatives du 5 mars 1933. Arrivant en tête de ce scrutin, Hitler parvient ensuite à faire voter la loi d’habilitation et obtient ainsi les pleins pouvoirs, pour une durée théorique de quatre ans.
La “coordination” des institutions et des organisations allemandes
La dictature nazie est désormais en place et la “coordination” intervient pour la renforcer. Cependant et comme le précise Richard J. Evans dans son livre dédié au Troisième Reich, cette “mise au pas” de la société allemande est essentiellement l’œuvre des militants nazis. Néanmoins, leurs dirigeants jouent naturellement un rôle important, à commencer par Hitler lui-même.
La mise au pas de la politique
Les partis politiques ne sont pas les seuls à être rongés par le mouvement nazi. Dans le système fédéral qu’est l’Allemagne, chaque gouvernement ou parlement d’État (Länder), chaque conseil municipal ou communal est impitoyablement épuré.
Pour y parvenir, Hitler créé les gouverneurs du Reich (Reichsstatthalter). Dans chaque Länder, ils ont pour mission de faire appliquer “la ligne politique définie par le gouvernement du Reich”. En installant des hommes de confiance capables d’assurer la “révolution” en marche, ou de la bloquer lorsqu’elle devient contre-productive, la souveraineté des États est de fait considérablement réduite.
Seule exception faite, le Länder de Prusse pour lequel Hitler se réserve le statut de gouverneur du Reich.
Pour ce qui est des organisations politiques situées au plus bas de l’échelle de la société allemande (par exemple les conseils municipaux), un usage abusif est fait des précédentes lois votées (habilitation et “protection du peuple et de l’État”). A travers elles, les nazis éjectent ceux qu’ils considèrent comme des ennemis de l’État. En réalité leurs ennemis tout court. Si les dirigeants donnent les grandes lignes d’action, ces épurations locales sont surtout l’œuvre des militants locaux et des SA, qui parviennent à exercer une pression considérable. Ce processus est encore plus vrai dans le monde associatif.
La mise au pas du monde associatif
La “coordination” des institutions et des organisations n’échappe à aucun domaine d’activité. Qu’il soit politique, économique ou social. Qu’il s’agisse de lobbies industriels, agricoles, d’associations sportives ou bien même de simples chorales, c’est bien l’ensemble du tissu associatif qui passent sous contrôle nazi.
Dans la plupart des cas, les dirigeants qui ne correspondent pas aux exigences du gouvernement de Hitler sont éjectés sans ménagement. Dans d’autres cas, un certain nombre d’associations se coordonnent d’elles-mêmes. Il s’agit alors de prendre les devants de cette mise au pas. L’objectif, n’est autre que de répondre aux exigences nazies, souvent pour se protéger. C’est également le cas dans le monde des entreprises.
Quoi qu’il en soit, il ne restera presque plus aucune association non nazie. Exceptions faites de l’Armée et de l’Église que Hitler ne peut se permettre de se mettre à dos.
L’épuration de la fonction publique
Adoptée le 7 avril 1933, la loi sur la restauration de la fonction publique autorise désormais la destitution des fonctionnaires juifs. A cette époque, la fonction publique allemande est déjà très importante. On y trouve des enseignants, des personnels des universités mais aussi des juges ou encore des magistrats etc….
Si parmi ces fonctionnaires les sociaux-démocrates, les libéraux, les conservateurs ou les catholiques sont particulièrement visés, l’épuration se fait essentiellement plus pour des motifs raciaux que politiques. En effet, le régime nazi définit les Juifs en termes raciaux et non religieux.
Déjà au lendemain des élections du 5 mars, des bandes de SA faisaient irruption dans les tribunaux pour en expulser les juges et les avocats juifs. Ces expulsions ne font donc que se poursuivre et dans une violence toujours plus grande. Le 1er avril, les commerces et les entreprises juifs avaient également été la cible d’un boycott national, orchestré par le gouvernement du Reich. Considérés comme des ennemis de l’État, beaucoup perdent aussi leur travail dans les milieux de la culture, des arts et de la science.
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Conséquences de la mise au pas de la société allemande
Le 6 juillet 1933, Hitler réunit les dirigeants nazis afin de faire le point sur l’ensemble de la situation. Annonçant que la “révolution” est une réussite et que le pouvoir n’est désormais rien qu’à eux, il ajoute que la stabilisation du régime devient désormais une necéssité. Toutefois, les conséquences de la “mise au pas” de la société allemande sont d’une certaine manière inattendues. En Allemagne, l’organisation paramilitaire des SA en sort renforcée. A l’étranger, les persécutions à l’encontre de la communauté juive font les titres de la presse et soulèvent les premières mobilisations.
Montée en puissance des organisations paramilitaires
A une période de l’histoire allemande où le chômage touche près de 35% de la population, 1,6 millions de personnes entrent au Parti nazi, entre le 1er janvier et 1er mai 1933. A partir de cette dernière date, toutes les adhésions au Parti en deviennent interdites. De fait, le NSDAP redoute l’arrivée d’opportunistes au sein de ses rangs, qui ne seraient pas raccord avec son idéologie. En effet, si certains y entrent pour réellement soutenir le mouvement, un grand nombre le fait pour simplement tenter de sauver son emploi ou pour se protéger.
Ne pouvant plus adhérer au Parti de Hitler, beaucoup se tournent alors vers les Chemises brunes. Naturellement pour les mêmes raisons. A l’été 1933, les SA dépassent ainsi les 2 millions de membres. Rapidement, l’organisation paramilitaire devient un danger pour le régime nazi qui se met encore en place. Voulant poursuivre la “révolution” à un moment où les nazis souhaitent stabiliser le pays, cette “concurrence” entre les SA et le gouvernement mènera à la “Nuit des longs couteaux”.
Antisémitisme et fuites à l’étranger
La loi sur la fonction publique du 7 avril est l’une des premières mesures prise par le gouvernement à l’encontre des Juifs d’Allemagne. Cependant, les violences envers leurs personnes se sont déjà multipliées, dès l’arrivée de Hitler au pouvoir. De fait, l’antisémitisme étant l’une des pierres fondatrices et idéologiques du mouvement nazi, cette prise du pouvoir encourage les “actions individuelles” : attaques de commerces juifs ou agressions en pleine rue. En bref, les Juifs deviennent le défouloir des “révolutionnaires” et ceux-là prennent conscience d’un changement majeur et irréversible ; les “discriminations ordinaires” laissent désormais place à des persécutions violentes, élaborées par les dirigeants de leur pays.
A la fin du mois de juin 1933, les Chemises brunes auront assassiné plus de 40 Juifs. Finalement, par crainte ou par obligation, au moins 35 000 d’entre eux auront quitté l’Allemagne, à la fin de cette même année.
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